Bethan Huws
Bethan Huws
Yvon Lambert a le plaisir d’annoncer la première exposition personnelle de Bethan Huws en France. Bethan Huws est née en 1961 au pays de Galles, elle vit et travaille à Paris. Elle recourt dans son travail à de nombreux médias : aquarelle, sculpture, installations, vidéos, readymade.
Sa démarche témoigne d’une réflexion constante sur l’héritage de Marcel Duchamp. Sa manière est méticuleuse mais toujours claire, sobre sans jamais être aride. Elle se fonde sur deux idées principales: le refus d’un art qui ne serait que visuel et une réflexion sur le fossé qui sépare l’art des préoccupations et des activités communes.
L’artiste a souvent recours à des matériaux préexistants ou trouvés. Chaque oeuvre est comme une réponse à un faisceau de circonstances : un lieu, une situation, un souvenir ou une lecture. Le langage y joue souvent un rôle primordial, l’artiste s’intéresse aux modulations de son expression orale ou écrite et aux nuances de ses significations.
Aquarelles
Bethan Huws réalise des aquarelles depuis ses débuts. La plupart du temps, on y voit des figures comme suspendues dans l’espace de la page blanche ; la couleur y est diluée, ténue. On se trouve face à des images à la fois précises et schématiques, à la fois concrètes et abstraites. Les sources d’inspiration de l’artiste sont très diverses : une photographie, une couleur, un événement, une oeuvre d’art, un souvenir, un paysage…
Word Vitrines
Les « Word Vitrines » reprennent la forme traditionnelle des tableaux d’affichage: boîtes métalliques vitrées où des lettrages de plastique blanc s’alignent le long de rainures de caoutchouc noir. L’artiste y appose des phrases anonymes tirées de situations réelles ou glanées au hasard de lectures. Ici un mot peut y jouer le rôle de référence culturelle à déchiffrer, là une phrase résonne comme un aphorisme soumis par l’artiste à la perspicacité et souvent à l’humour du spectateur ; ailleurs l’artiste rapporte un dialogue.
Ces « statements » conjuguent une certaine poésie avec une apparente banalité. Il y a un écart, une incongruité entre la forme préexistante, presque triviale, et ce qui est écrit. En transposant ces objets hors de leur contexte utilitaire vers la sphère artistique, l’artiste révèle leur élégance formelle et leur étrangeté. Le format préexistant, sobre, flexible, est à la fois vide de sens et potentiellement riche de toutes les combinaisons possibles. Comme une oeuvre d’art, ces objets sont un réceptacle qu’on pourra emplir de signification.
Readymades
Dans la droite lignée de Duchamp, Bethan Huws démontre le pouvoir du geste artistique qui consiste à recontextualiser un objet du commun dans la sphère artistique. Ce faisant l’objet dévoile une signification et une poésie jusqu’alors occultées par sa destination première, purement utilitaire. La relation facétieuse du titre et de l’objet concentre le pouvoir ironique de ces oeuvres ; comme chez Duchamp, l’humour qui se dégage de ces oeuvres est riche d’interrogations plus profondes, proches des questionnements de la philosophie.
The Chocolate Bar
« The Chocolate Bar » est un court-métrage farcesque et satirique. La scène initiale, filmée en noir et blanc prend place dans une cave (l’inconscient), on peut y voir la représentation d’un rêve irrationnel. Tout commence par un dialogue invraisemblable et absurde entre deux personnages presque identiques, au sujet d’une barre chocolatée Mars. On discerne au fil de l’action une série d’éléments duchampiens : un porte-bouteille et un homme androgyne descendant un escalier ; l’homme porte un costume traditionnel de femme surmonté du chapeau masculin à larges bords typique du Pays de Galles. Le personnage à l’air d’être tout droit sorti du folklore. Il/Elle est l’un des trois personnages, tous joués par le même acteur. Le dialogue tourne autour d’une barre chocolatée, de calembours sur les mots « Mars » et « Bar » et de malentendus insensés entre les deux interlocuteurs.
Dans le fond, on discerne un objet suspendu dans les airs, le Porte-bouteilles de Duchamp. C’est sur un gros plan flouté de cet objet que s’opère la transition vers la seconde partie du film : on passe d’une séquence onirique en sous-sol vers une scène en couleur filmée en extérieur. La scène s’ouvre sur un nouveau plan rapproché sur le Porte-bouteilles suivi du titre du film.
Ainsi, l’oeuvre de Duchamp occupe une position clé dans le déroulement et la signification du film. Dans le contexte d’une culture consumériste et matérialiste, dont le standard est celui de la télé-« réalité » et du cinéma, la scène finale de « The Chocolate Bar » pourrait être interprétée comme une satire du réalisme grotesquement naïf, dénué de toute capacité autoréflexive. « The Chocolate Bar » polyphonique et ironique, en constitue une négation sans appel.