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Bertrand Lavier

Pour sa troisième exposition personnelle à la galerie Yvon Lambert, l’artiste expose des sculptures qui témoignent des nouvelles orientations prises au sein de son «esthétique de détournement». En menant une réflexion autour de l’appropriation et du «transfert culturel», il enrichit le discours plastique et intellectuel qu’il a hérité de Marcel Duchamp et qu’il a maintes fois décliné et décortiqué.
Nous participons à une confrontation entre l’art et le réel et nous sommes invités à porter un autre regard sur des objets contraints à revêtir une nouvelle identité.

Au fond de la première pièce, face à nous, s’expose dans un environnement blanc et dépouillé, une céramique murale de deux mètres sur trois. Cette composition s’inspire de peintures d’un peuple d’Afrique du Sud, les Ndebele. Soumis à un semi-esclavage sous l’apartheid, cette ethnie a réussi à gagner son autonomie et à faire vivre un art mêlant peinture et architecture. Seules les femmes ornent les façades dont les représentations figuratives restent une exception. Reconnues comme des expertes dans le décor des murs d’enceinte de leurs habitations, elles perpétuent une tradition qui remonte au XVIIIe siècle.

Si les teintes de ces figures géométriques étaient jadis fournies par des substances naturelles, les couleurs vives ont envahi ces fresques avec l’apparition et l’utilisation des peintures industrielles.
Les rêves retranscrits en deux dimensions ont laissé la place à des compostions dénuées de significations particulières. L’artisanat et les nuances réduites dues aux pigments naturels sont supplantées par  les multiples possibilités colorées de la modernisation.

Bertrand Lavier utilise la céramique,  matériau qu’il travaille depuis 2003, et s’approprie ainsi avec un autre médium l’art primitif issu d’une autre culture. En replaçant cet ensemble dans la galerie il lui confère une nouvelle existence et un statut différent.
Confinée à l’intérieur d’un cadre muséal, la fresque ne s’offre plus aux regards des villageois et des passants, comme elle pouvait    ale faire en Afrique. Elle cristallise ici une intention particulière, celle de spectateurs avertis qui viennent découvrir les oeuvres d’un artiste de renom.
Deux sculptures sont présentées dans la même salle.
Metabo, un taille haie recouvert d’acrylique et Embryo, une chaise de Marc Newson. Montés sur des socles, les deux oeuvres prennent des allures de visages inquiétants aux traits difformes et menaçants. Bertrand Lavier cherche à nous sensibiliser au glissement que l’on peut opérer entre un objet du quotidien et une oeuvre d’art en interrogeant les conditions de re-présentation des choses.
Il élimine la fonctionnalité première de ces “outils” pour les enfermer dans une inutilité pratique et les faire accéder à une esthétique inattendue. De nombreux artifices sont convoqués pour parfaire cette transformation. L’artiste intervient picturalement sur l’objet, le retourne, le redresse, lui donne une position inhabituelle. Il l’inscrit dans un lieu d’exposition et le soumet aux critiques plastiques des visiteurs et non plus aux remarques concernant leur plus ou moins grande facilité d’utilisation.

Sous la grande verrière, se succèdent une série de statuettes nigériennes en bronze nickelé. Hissées sur des parallélépipèdes et adossées à des cimaises blanches, ces personnages et ces masques laissent miroiter des reflets argentés qui les rendent plus précieux.
Traditionnellement réalisé en bois et en matériau de récupération ces “ustensiles” destinés à la magie et manipulés lors de cérémonies vaudou perdent ici toutes leurs particularités propres. La standardisation de leur fabrication efface leurs différences matérielles. La rigidité dans laquelle elles sont désormais enfermées, gomme leur aura magique et  les contraints à un rapport frontal avec le visiteur qui ne peut en faire le tour.

Les parois qui se dressent pour l’occasion dans la pièce de la galerie sont semblables à des pages rigides et démesurées d’un livre d’histoire. Elles se suivent les unes derrières les autres, la première cachant la seconde et ainsi de suite. On les contourne, comme on feuilletterait une encyclopédie mais aucun texte ne vient à l’appui de cette investigation. On découvre une autre civilisation ou plutôt l’image déformée et maquillée d’une culture lointaine. Bertrand Lavier nous invite à réfléchir sur cette altération d’identité et sur le statut d’oeuvre d’art attribué tardivement par l’Occident à ces objets du quotidien africain.

Nous nous arrêtons quelques minutes sur ces gestes artistiques qui pourraient paraître anodins mais qui révèlent, au delà des simples apparences, un discours plus critique. Nous devons porter un regard plus incisif sur notre société de consommation qui utilise et recycle sans cesse de images vidés de leur sens premier. 

Bertrand Lavier
Ibo, 2008. Bronze chromé. 93 x 23 x 14 cm
Toko, 2008. Bronze chromé. 66 x 7 x 55 cm
Kongo, 2008. Bronze chromé. 27 x 15, 5 x 20 cm
Boli, 2008. Bronze chromé. 32,5 x 4,5 x 7,5 cm
Mamba, 2008. Bronze chromé. 34 x 6 x 7 cm
Lulu, 2008. Bronze chromé. 50 x 11 x 8 cm

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