Bertrand Lavier
Bertrand Lavier
Yvon Lambert, Paris, présente la 3éme exposition personnelle de Bertrand Lavier.
Artiste français né en 1949, Bertrand Lavier a su conférer à son travail une place singulière dans le paysage international. Marquées par l’héritage de Marcel Duchamp et des Nouveaux Réalistes, ses oeuvres impertinentes perturbent nos habitudes de voir et de penser l’oeuvre d’art. L’institution, le lieu d’exposition, l’application de peinture (comme geste artistique fondamental), le socle de présentation sont soumis au regard critique de l’artiste qui les révèlent comme outils de cette transmission entre la vie et l’art. Ses objets recouverts de peinture, ses miroirs repeints, ses tableaux dit « d’ameublement » questionnent sans cesse les conditions de la re-présentation, du rapport entre l’art et le réel.
L’exposition proposée par la galerie entend témoigner des nouvelles orientations prises par Bertrand Lavier au sein de son « esthétique du détourement ». L’exposition introduit une réflexion sur le statut de l’original et sur le processus des transferts culturels. La réalisation
s’inspire des statuettes votives nigériennes, objets du quotidien africain auquel l’Occident a tardivement conféré le statut d’oeuvre. L’artiste a réalisé des tirages en bronze chromé d’une série de 5 statues originales.
Bertrand Lavier joue ici avec des codes propres à la sculpture occidentale pour y intégrer un élément qui lui était d’abord étranger. La production en série, le changement de matériau, la scénographie de l’exposition sont autant d’interfaces permettant la transformation de la statuette traditionnelle africaine en oeuvre d’art. Ce statut nouveau n’est cependant pas dépourvu d’ambiguïtés : l’artiste procède en effet à un brouillage des identités et des catégories dont le spectateur est invité à faire l’expérience aussi jubilatoire que troublante.
L’autre élément de l’exposition est une fresque en céramique, matériau qu’il travaille depuis sa participation à la biennale de la céramique en Italie en 2003. Inspirée des peintures d’Afrique du Sud dites Ndebele, cette oeuvre en reprend les motifs abstraits, les couleurs et les figures. Ici encore, on assiste à un nouveau brouillage des identités culturelles et esthétiques : Les peintures Ndebele étaient originellement réalisées pour couvrir les façades des maisons de ce peuple d’Afrique du Sud. Déplacées dans le contexte d’une galerie d’art contemporain, elles changent de statut mais changent également celui du lieu d’exposition. Personne ne sort donc indemne de ce jeu d’échange.
Pour la dernière oeuvre, Bertrand Lavier a choisi de juxtaposer sur une toile deux nuances du rouge communément appelé Ferrari . Cette pièce reprend le procédé de Rouge géranium par Duco et Ripolin, réalisée en 1974 : on peut y voir deux surfaces de peinture dans deux teintes voisines. Il y a donc deux variantes du rouge mythique de la célèbre marque italienne : l’artiste démontre que le symbole jugé immuable est un leurre, qu’il est soumis également au changement.
Cette oeuvre prolonge ainsi, non sans humour, la réflexion de l’artiste sur l’instabilité de ce qui semble constant, sur la duplicité paradoxale de ce que l’on croit original. Le rapprochement immédiat de ces deux rouge que l’oeil et le langage confondent révèle également l’impossibilité d’une parfaite correspondance entre l’art, la réalité et le langage. Conséquent dans sa démarche comme dans ses fins, l’artiste montre une nouvelle fois que pertinence est soeur d’impertinence.
critique
Bertrand Lavier