Autoportrait
1. Quand êtes-vous déjà mort?
Bernard Plossu. Je suis mort de douleur en 1985 mais je ne révèlerai pas pourquoi. En revanche, je suis retourné à la vie en 1986.
2. Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Bernard Plossu. Et bien, je les rêve encore. Plutôt que de rêves, je parlerai du réel de l’enfant, et en ce qui me concerne, c’est un enfant qui lisait beaucoup de bandes dessinées, et qui a donc appris à cadrer avec la ligne claire dès l’enfance. Ce qu’il y a dans le carré explique tout le reste qui se passe autour. Et, en fait, la photo, c’est la mise en rectangle ou en carré des leçons que j’ai apprises de la ligne claire en BD. Donc, ce ne sont pas les rêves d’enfant, c’est plutôt le côté rêveur d’une vie d’enfant.
3. Citez trois artistes que vous détestez
Bernard Plossu. Détester le mot est trop fort, il y a une énergie qui ne me correspond pas. En peinture, je n’aime pas Fernand Léger, De Stael, Mathieu. En photo, plutôt que de nommer, je préfère dire que ce que je n’aime pas: le trop grand angle, le spectaculaire qui, en fonçant le ciel des images, rajoute une couche au drame. C’est exactement le même principe qu’au cinéma lorsque la musique devient dramatique pour que le public soit bien conditionné. Une bonne photographie, c’est une photo qu’on ne doit pas conditionner à l’avance. Et enfin, le manque de pudeur. Ils sont plus que trois les photographes qui font de mauvaises photos de nu et n’ont pas compris que la plus grande beauté de la photo c’est la pudeur.
4. Vous manque-t-il quelque chose?
Bernard Plossu. Vu la passion que j’ai pour l’objectif de 50 mm, il ne me manque rien, je crois. Le 50, c’est l’objectif de la redoutable intelligence et de l’acuité visuelle. C’est une jolie métaphore que de s’apercevoir qu’un objet technique peut t’apporter l’âme que tu recherches, et en même temps c’est un choix très rigoureux.
5. A quoi avez-vous renoncé ?
Bernard Plossu. Aux voyages lointains, pas uniquement à cause de l’âge, parce que j’ai déjà beaucoup voyagé, mais aussi parce que les pays qui nous motivent pour voyager ont été tellement matraqués de voyages organisés où les gens ont abusé de la photo, et emmerdé le Tiers monde en leur mettant un numérique sur le nez sans aucun respect, aucune pudeur. Il faut voyager en ami, pour partager ses photos, pas en conquérant.
6. Que défendez-vous ?
Bernard Plossu. Les jeunes photographes, passionnément. Et, je déteste qu’on dise d’un jeune photographe qu’il me copie. Il ou elle a tout à fait le droit de copier ses aînés pour se trouver. Moi aussi, j’ai copié tout le monde. L’exposition «Plossu cinéma», ça n’est que de la copie de cameramen, et c’est ce que j’aime dans cette expo, je montre d’où je viens. Il y a un côté courageux et culotté de monter ses racines et dire qu’on a copié.
7. Que vous reproche-t-on ?
Bernard Plossu. De faire trop de livres. L’expo du Frac montre à quel point je fais des livres comme un cinéaste fait des films. Je fais deux sortes de livres: 1° purement créatifs, ou expérimentaux comme Plossu cinéma, qui correspondent à mon langage; 2° des commandes. Donc, au final, ça fait beaucoup de livres. Mais cette démarche a permis à d’autres jeunes photographes d’oser le faire. Au fond, un éditeur à plusieurs auteurs pour vivre, pourquoi un auteur n’aurait-il pas droit lui aussi à plusieurs éditeurs?
8. A quoi vous sert l’art?
Bernard Plossu. L’art ça sert avant tout à partager (pour les autres) et à être curieux (pour soi). Je dis souvent à mes élèves de ne pas s’intéresser qu’à la photo. Aujourd’hui, je rentre du Jardin de Monet à Giverny. A quoi sert ce jardin? Le jardin a été un prétexte, «un motif» pour l’art de Monet et il a tellement marqué l’histoire de l’art que c’est devenu un jardin pour le monde entier. On retombe sur cette idée de partage entre le particulier et l’universel. L’art c’est aussi un effort qui nous oblige à ralentir, à ne pas faire comme cette personne qui vient de passer à toute vitesse avec son 4×4 dans un endroit où il y a des gens. L’art c’est être capable de lever le pied, c’est lutter contre la vulgarité.
Abécédaire
E
Espagne, j’adore y aller. C’est le pays du très grand photographe Baylon, et du peintre Miguel Angel Campano.
C
—Â Chocolat (j’aime beaucoup)
— Cézanne dont j’avoue ne pas aimer les verts et les bleus, pour moi le sud c’est Soutine
—Â Cubisme: un photographe c’est un danseur qui du haut de son entrechat voit cubiste. Quand on bouge les lignes de force que l’on voit tout le temps changent. La photo c’est du cubisme en mouvement.
H
Histoire, Hésitation… donc la connaissance mais le doute, mais Hélas l’Histoire n’Hésite pas à se répéter.
N
— Napoléon l’homme qui n’a pas hésité à faire mourir de froid ces milliers de soldats pendant la campagne de Russie. Quelle folie de pouvoir envoyer des êtres humains mourir de froid.
—Â Non
J
—Â Portraits de Jawlensky
— Jalousie: le sentiment le plus difficile à vaincre, à surmonter
— Je: Céline disait «Je le pronom le plus dégoutant» ou un truc comme ça. Je c’est l’ennemi de l’intelligence.
L
Lumière, en photographie, qu’on appelle noir et blanc, le gris. En beauté, celle (lumière) du nord: Vermeer, Brueghel, Constable.
A
Afrique le continent de l’origine de la musique, de la danse… L’Amérique (du nord) ne serait rien culturellement sans la musique Africaine. Tous les musiciens blancs d’Elvis à Dylan ont été influencés par la musique d’origine africaine.
I
— Italie!!!!! A lui seul ce mot veut tout dire…
—Â Illusiones Optica: le dernier film que j’ai vu.
Plossu cinéma, exposition en cours au Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, jusqu’au 17 avril, 2010.