Après avoir accueilli la première exposition personnelle de Bernard Frize en 1988, le Musée d’art moderne de la Ville de Paris lui consacre une nouvelle manifestation axée sur la présentation d’une centaine d’œuvres des dix dernières années, avec quelques ponctuations de la fin des années 1980 et du début des années 1990.
Depuis ses débuts, Bernard Frize n’a de cesse d’interroger la pratique picturale et le rôle du peintre. Né en 1944, formé dans un contexte dominé par l’art minimal et l’art politique des années 1970, Bernard Frize a été imprégné de marxisme, et a longtemps pensé que son investissement idéologique était incompatible avec sa pratique artistique. Il intègre finalement dans son approche picturale les notions de travail, de temps passé et d’outils de production. À ses yeux, l’acte de peindre doit être démythifié, transformé en une pratique de travail comme une autre ; tout comme l’artiste, ravalé au rang d’exécutant, est dépourvu de sa dimension créatrice et visionnaire.
Dans la lignée de l’abstraction, puis de l’art conceptuel et minimal, le sujet en tant que contenu, et avec lui toute velléité de figuration, s’efface au profit du questionnement sur l’objet-tableau, poussé à l’extrême avec les groupes BMTP et Supports/Surfaces. À leur suite, la déconstruction du processus de création picturale conduit les peintres à s’attacher à un ou plusieurs de ses éléments constitutifs.
Bernard Frize élabore ainsi une œuvre à partir du format du tableau, de la taille des brosses, des couleurs disponibles, éléments de base auxquels il applique diverses techniques qu’il met au point préalablement. Car, si l’acte de peindre consiste avant tout à mettre la peinture sur la toile, la conception de la méthode et la préparation des outils prennent bien plus de temps que la réalisation. L’intérêt de l’œuvre picturale se situerait alors en amont de sa réalisation : « J’opte pour un mode de travail, déclare Bernard Frize, et la peinture n’en est que le résultat ».
Au-delà des processus techniques sans cesse renouvelés, Bernard Frize compte sur les transformations de la matière picturale et sur les effets non désirés, laissant grande place au hasard. Il se situe sans cesse « entre jeu et mécanique », puisque malgré le choix du procédé, la détermination du geste, l’incertitude demeure. D’où l’ambiguïté de la démarche : l’extrême préparation en amont laisse place aux transformations de la matière qui surgit derrière l’image et produit les effets visuels.
À partir de 1996, dans les Suites automatiques le tableau est considéré comme une surface-écran sur laquelle la peinture se déroule par le fait d’une technique particulière : un bouquet de brosses est fixé à une plaquette dont le mouvement balaie la toile de haut en bas et de droite à gauche, après que des aplats de couleurs ont préalablement été déposés sur sa surface. Au-delà des sillons de couleurs, cette méthode produit la vision de ces damiers flous aux couleurs brouillées et entremêlées, dont les carrés semblent avoir déteint les uns sur les autres du fait d’une mystérieuse opération chimique (Suite automatique n°2, 1996).
Une fois choisis la méthode et les outils de réalisation de l’œuvre, le peintre accepte le résultat qui en découle. L’œuvre apparaît comme l’expression de son processus constitutif. Même en l’absence de sujet, au cœur de l’abstraction, une toile raconte toujours quelque chose, à savoir l’histoire de sa réalisation.
Au moyen de ses « machines à peindre », Bernard Frize introduit une dimension mécanique dans l’acte de peindre : il évacue sa personnalité, son style, et se pose d’emblée en retrait. Il est difficile parler, le concernant, de style ou de signature reconnaissables, mais plutôt de pratique ou de motifs. Ses programmes ou ses formules visent à éliminer toute intervention de son goût personnel ou de sa main dans le processus de création de l’œuvre. Il fait d’ailleurs largement appel à des assistants.
Certaines procédures deviennent presque comiques : certaines œuvres ont été réalisées les yeux bandés, une personne dictant à l’artiste les mouvements de sa main et du pinceau sur la toile. Pour d’autres œuvres, les brosses passent entre les mains des assistants, la réalisation de la toile intervenant au terme d’un processus collectif.
La couleur n’est pas le sujet des œuvres de Bernard Frize car elle est seulement envisagée comme une matière : seuls importent dans les effets émotionnels et esthétiques des couleurs, les interactions et les hasards produits par leur application mécanique. Les couleurs, qui apparaissent avec les effets de coulure et de transparence propres à l’acrylique, ne valent pas pour elles-mêmes, mais pour la structure qu’elles contribuent à dessiner. Indépendamment de leur mode d’application : coups de pinceaux isolés ou ininterrompus, superposition ou séparation des composants, application mécanique, grilles variable, etc.
Les propriétés physiques des matériaux utilisés sont largement exploitées. Pour Margarita, la toile a été peinte en laque en rose, puis suspendue, matière vers le sol, les lois de la pesanteur et la densité de la peinture intervenant dans le résultat final. Les formes de Boswell ou de Emilia dépendent directement des degrés de dilution et de répulsion des substances utilisées, de la liquidité, de la quantité de peinture ainsi que de l’inclinaison du plan sur lequel elles s’écoulent.
L’effet visuel et émotionnel de l’œuvre se situent au croisement du hasard et des lois de la pesanteur, de la viscosité, et de la densité de la matière. Ainsi, Conducteur F a été conçu d’un seul geste avec comme seule contrainte de couvrir la toile en totalité sans jamais passer le pinceau deux fois au même endroit. On perçoit la négociation périlleuse des virages avec le pinceau, la ligne qui s’amenuise pour mieux aborder les angles aigus, le tarissement progressif de la peinture, etc. Le tableau apparaît comme une image de sa propre élaboration.
En outre, la démarche de Bernard Frize fonctionne en séries. Les toiles sont répertoriées, avec l’aide de Patricia Falguières, selon une nomenclature complexe. Ce mode sériel et cette succession d’œuvres visant à épuiser les possibilités visuelles d’une technique (La Tresse) définissent une sorte de toile infinie, des œuvres non closes qui se répondent hors du cadre de l’image, dans une relation constante avec l’espace.
Le parcours de l’exposition et la succession des œuvres ont d’ailleurs été conçus par l’artiste sans ordre chronologique, mais selon des affinités d’œuvres entre elles, des parentés ou des tensions, orientant le regard et les sensations du visiteur. Les lacis, damiers, volutes et tresses colorés se succèdent de tableau en tableau. Ces peintures-écrans, liées entre elles, réunissant l’image et la matière, ne renvoient finalement qu’à elles-mêmes, dans une double incitation à penser et à voir, à faire surgir la nature des choses.
Bernard Frize
— Arrangement, 2002. Acrylique et résine sur toile.
— Karolin, 2003. Acrylique et résine sur toile.
— Marine et forêt N°1 à N°5, 1997. Sérigraphie et feutre à gouache sur papier.
— Solitaire N°1 à N°9, 1999. Acrylique et résine sur toile. 62,5 x 41 cm.
— Wolin, 1996. Acrylique et résine sur toile.
— Trésor, 2000. Acrylique et résine sur toile. 220 x 180 cm.
— Suite automatique n°1 à 5, 1996. Acrylique et résine sur toile. 80 x 80 cm.
— Suite automatique n°4 prime, 1996. Acrylique et résine sur toile. 80 x 80 cm.
— Rosta,, 2002. Acrylique et résine sur toile.
— Marmara, 2000. Acrylique et résine sur toile. 160 x 140 cm.
— 35 % Vrai, 60 % Faux, 1986–1999. Acrylique et résine sur toile.
— Jumelle,, 1990. Acrylique et résine sur toile.
— Nain, 1989. Huile sur toile. 65 x 54 cm.
— Théon, 2001. Acrylique et résine sur toile.
— Ritz, 2000. Acrylique et résine sur toile.
— Lucky I à XXII, 2000. Acrylique et résine sur toile. 73 x 92 cm.
— Portable I à XXV, 2000. Acrylique et résine sur toile.
— Buton,, 1997. Acrylique et résine sur toile.
— Ébréchée, 2001. Acrylique et résine sur toile.
— Apollonia, 2000. Acrylique et résine sur toile.
— Conducteur D, 2001. Acrylique et résine sur toile.
— Boswell, 2001. Acrylique et résine sur toile.
— Bold, 2001. Acrylique et résine sur toile.
— Emilia, 2000. Acrylique et résine sur toile. 89 x 116 cm.
— Boom, 2001. Acrylique et résine sur toile.
— Double margarita, 1991–1999. Laque alkyd-uréthane sur toile.
— NBCa, 1998. Acrylique et résine sur toile. 92 x 73 cm.
— Deux bonheurs, 1989. Acrylique et résine sur toile.
— Aran,, 1992. Acrylique et résine sur toile.
— Remoon, 2001. Acrylique et résine sur toile. 220 x 220 cm.
— Lulong, 2001. Acrylique et résine sur toile.
— Armes, 2001. Acrylique et résine sur toile.
— Plück, 2001. Acrylique et résine sur toile.
— Othon F, 1994. Acrylique et résine sur toile.
— Érès, 2001. Acrylique et résine sur toile.
— 28-3, 1996. Acrylique et résine sur toile.
— Grande Tricolore, 1998. Acrylique et résine sur toile.
— Mixte, 1999. Acrylique et résine sur toile.
— Boarmie, 2000. Acrylique et résine sur toile.
— Copie, 1998. Acrylique et résine sur toile.
— Gabarit, 1998. Acrylique et résine sur toile.
— Surface,, 1998. Acrylique et résine sur toile.
— Uintah, 2001. Acrylique et résine sur toile.
— Aménagé,, 2001. Acrylique et résine sur toile.
— Coordonné,, 2001. Acrylique et résine sur toile.
— OVM,, 1988. Acrylique et résine sur toile.
— BJR, 1988. Acrylique et résine sur toile.
— OJB, 1988. Acrylique et résine sur toile.
— Distraction, 2000. Acrylique et résine sur toile.
— Quelle, 1998. Acrylique et résine sur toile.
— Romani, 2002. Acrylique et résine sur toile.
— Chouppa, 2002. Acrylique et résine sur toile.
— Merotom, 2003. Acrylique et résine sur toile.
— Viator, 2003. Acrylique et résine sur toile. 160 x 180 cm.
— Disposition, 2002. Acrylique et résine sur toile. 270 x 225 cm.
— Pensim, 1997. Acrylique et résine sur toile.
— Donnie, 1997. Acrylique et résine sur toile.
— Seyes, 1997. Acrylique et résine sur toile.
— Siwa, 1997. Acrylique et résine sur toile.
— Giacobini, 1999. Acrylique et résine sur toile.
— Horst, 1997. Acrylique et résine sur toile.
— Aunno, 2003. Acrylique et résine sur toile.
— DCAB, 1994. Acrylique et résine sur toile.
— Apparemment prime, 2003. Acrylique et résine sur toile.
— Trapu, 2001. Acrylique et résine sur toile.
— Traso, 2002. Acrylique et résine sur toile. 180 x 160 cm.
— Iokanaan, 2003. Acrylique et résine sur toile. 200 x 245 cm.