Ben est chez Brolly. Une exposition capharnaüm comme à son habitude où il ne viendrait (tout d’abord) à l’idée de personne, ni d’ajouter, ni de soustraire quoi que ce soit.
Tous les objets «ready-made» qui y figurent, se prennent dans les mailles d’une écriture ronde et linéaire qui fait déjà office de signature, d’un texte qui balaie un panel de registres qui va de l’adage populaire à l’avertissement politique, de l’auto-commentaire à d’inquiétantes prédications sur l’avenir de l’art, en passant par le slogan, le calembour, et autres plaisanteries potaches.
Le texte proclame, interpelle, accuse, dénonce, commente. C’est un texte qui se greffe sur les choses, les détourne, les revoit. Recouvert du verbe, l’objet devient signe. C’est le mode de transformation de la matière en œuvre, qu’il a adopté il y a plus de quarante ans.
A l’occasion de cette exposition, Ben a recouvert un mur entier de la galerie (celui qui se trouve face à l’entrée) d’une écriture régulière et colorée. Le texte s’affiche comme le manifeste de l’exposition.
C’est en écho à la démarche et en hommage à l’artiste que j’ai souhaité rédiger moi-même un texte qui se greffe sur le sien en guise de commentaire.
Le texte de Ben apparaît en gras dans ce qui suit.
Ca commence comme Ben-Hur:
En ce temps-là , Ben vint chez Brolly et dit:
Ben tente d’écrire à titre posthume.
La machine ne peut plus s’arrêter.
Il parle de sa propre machine, à coup sûr.
Il y a de plus en plus d’artistes,
La concurrence est rude.
qui cherchent la gloire.
Ou peut-être leur part.
Il y a de plus en plus d’œuvres d’art qui s’entassent dans les réserves.
J’imagine la réserve de Ben!
Il y a de plus en plus de musées qui ne savent pas quoi programmer.
Pas d’amertume!
(la machine ne peut plus s’arrêter)
La machine a peut-être dépassé Ben.
Il y a de plus en plus de catalogues qui pèsent leurs tonnes en ego.
Là , je commence à croire que c’est un autoportrait
Il y a de plus en plus de collectionneurs qui veulent posséder ce que l’autre ne possède pas.
Le marché de l’art est un grand magasin, c’est Ben qui me l’a appris.
Il y a de plus en plus d’argent et de spéculation confinés au bon goût du pouvoir dominant
C’est pas faux et c’est Ben qui le dit.
(la machine ne peut plus s’arrêter)
C’est le refrain, donc c’est une chanson.
Pour satisfaire la demande, il y aura de plus en plus de faux, de pastiches, de sous produits.
L’œuvre d’art est-elle un produit?
Alors, le pouvoir fera semblant de se révolter.
J’attends de voir.
Et il y aura de plus en plus de revues, de médias, de journalistes, pour refaire mousser la mayonnaise culturelle.
La mayonnaise mousseuse est une sauce mousseline plus légère que la mayonnaise.
Entre temps au ministère de la culture, ils budgétiseront
Chacun son métier.
une reprise en main du gavage nécessaire
L’œuvre de Ben ne donne pas non plus dans le frugale.
Pour que le pouvoir puisse continuer à se regarder dans son miroir
C’est son leurre, car c’est son leur mais cessons l’heure. (miroir au mur)
(la machine ne peut pas s’arrêter)
et pourtant, j’ai envie d’oublier l’art,
Que les foules se rassurent, Ben n’y pense pas.
perdre mon ego, -hélas impossible,
Que Ben se rassure, par définition, ça ne l’est pour personne
Va falloir attendre que les piles se vident,
C’est un peu ça qui fait peur chez Ben.
(la galerie est pleine de jouets non stop),
J’aime bien cette métaphore de l’œuvre d’art.
que l’art se vide de son «beau»,
C’est bien avancé, rien n’oblige à se précipiter.
Que la loi se vide du plus fort, que l’argent se vide de sa peur, que ma tête se vide de son trop plein,
Là , ça se bouscule un peu.
En attendant, je reste assis sur cette chaise (une chaise)
Une de plus et ça faisait Three chairs
Cela se passe 16 rue de Montmorency, à 18 heures 33, j’attends que la machine s’arrête.
Je suis passé, il était parti.