Pour la version du Centre national de la Photographie de sa rétrospective bipartite (l’autre moitié est au Palais de Tokyo), Franck Scurti a choisi des œuvres de part en part informées par des paradigmes photographiques. Soit une adaptation zélée aux attentes des lieux, d’autant plus réjouissante qu’elle fait sens : plaçant l’ensemble sous le signe de la transparence — chaque œuvre est accompagnée d’un court texte qui en dévoile les intentions et le process de fabrication —, Franck Scurti désamorce minutieusement toute question métaphysique sur l’art, et ses éventuels messages.
Le spectateur est accueilli par une galerie des glaces. Des plaques en inox poli, et réfléchissant, absorbent quelques lettres de l’enseigne (du même matériau) du Centre national de la Photographie (elles manquent effectivement sur la façade de l’hôtel de la rue Berryer). Prélèvement.
Et décadrage. Comme pour cet avis de recherche à feuille d’arbre (The City is not a Tree), lancé à partir d’une page de Libération. Réappropriation, re-légendage.
Bien d’autres modalités, plus ou moins spécifiques au médium photographique, sont mises à contribution comme mode pragmatique de décryptage du réel. Là , l’unicité du point de vue, qui fait surgir une tête de mort sur la façade d’une villa cubaine ; ailleurs, la mise en défaut d’un supposé instant décisif photographique, défait en une séquence binaire électronique IN/OUT; ou encore, l’indicialité, singée par l’empreinte qu’auront laissée les chaises pliantes, fraîchement repeintes, sur les vêtements des gardiens des lieux. Mais aussi l’analogie, et l’enregistrement, étendus à la vidéo, qui propulse le spectateur dans Chicago comme une boule dans un flipper, ou transforme la ville en aquarium onirique (Heineken Vision).
Parfaitement intelligibles, et gentiment ironiques, les images de Franck Scurti, semblent aussi le produit d’un constat d’impuissance devant la capacité, sans limite apparente, d’absorption et de normalisation, des institutions, et du marché, de l’art. Légères, sans style, pétries de références éclectiques à l’histoire de l’art, elles font figure de paradoxaux grains de sable, jubilatoires et facilement assimilables, dans la mécanique qui lie, ou sépare, l’art et la vie.
Lire l’entretien de Claire Jacquet avec l’artiste
Lire l’article sur l’exposition de l’artiste au Palais de Tokyo
Lire l’article sur l’exposition à la galerie Anne de Villepoix
Franck Scurti
— Sans titre (CNP), 2002. Installation.
— The City is not a Tree, 1999. Affiche offset.
— Street Credibility, 1998. Chaussures, carton, papier, caoutchouc, verre, lacets. 12 x 25 x 35 cm.
— Heineken Vision, 1998. Vidéo en boucle.
— Paris Match, 2001. Magazine verni, plexiglas. 44 x 51 x 8 cm.
— Sandwich, 1998. Porte en verre, poignée en bois, autocollants. 200 x 80 cm.
— Ready Dead, 2001. Cibachrome sur aluminium. 180 x 120 cm.
— Socialismo o Muerte, 2002. Carton peint, éponge, acier, plexiglas. 43 x 51 x 15 cm.
— Subways in Tokyo, 1999. Bois. 30 x 30 cm.
— IN/OUT, 2001. 2 photographies montées sur caissons lumineux. 107 x 160 cm (chaque).
— Brasão Dos Lustres Estacione, 2001.
— Chicago Flipper, 1997. Vidéo en boucle.
— Before and After, 2002. « Chaises de jardin fraîchement peintes en bleu, placées dans les espaces du CNP et du Palais de Tokyo. Les médiateurs et les gardiens garderont l’empreinte des lattes de ces chaises sur leurs vêtements. »