Au fond du couloir, une petite musique. Une galerie au cinquième étage d’un immeuble du XXe arrondissement, ouverte récemment (février 2002) hors des circuits habituels, et qui n’a pas pignon sur rue, mais s’ouvre sur les toits de la ville par de grandes fenêtres.
La musique est celle de l’installation Radio Popeye d’Alexandre Perigot. Les ritournelles fugaces et joliment flagadas de Xavier Boussiron ré-interprétant Roy Orbinson accompagnent une photographie imprimée sur une énorme bâche posée au sol, comme un billboard démonté de son promontoire.
A première vue, il s’agit d’un village, mais d’un village comme on en n’aurait jamais vu, en tous les cas pas par ici. Des maisons de bois plus ou moins solides, un pont, des escaliers qui descendent vers la mer. Le tout planté au milieu d’un désert de cailloux et de végétation aride, sous un ciel bleu vif.
S’agit-il d’un village entier déserté par sa population? Rien n’est très sûr.
Ce sont en fait les reliques d’un décor construit à Malte pour le tournage du film Popeye de Robert Altman, laissé en plan, et en l’état, depuis plus de vingt ans. Alexandre Perigot exhume ici cet improbable paysage comme pour dresser un bilan tragique de la situation: tout ça pour ça…
L’équipe de cinéma américaine est repartie depuis longtemps, abandonnant à son triste sort cet éden ensoleillé et bon marché. L’artiste réussit à faire planer le doute sur l’existence d’un tel village comme vrai village, et redonne vie à ce qui en reste en le montrant tel quel, sorti de son silence par ces mélopées de dancing infatigables.
Sur un autre mur, comme en écho, une photographie tout aussi étrange. Sous le plexiglas, une maison, en carton-pâte semble-t-il, sur fond vert-pomme. Une fois de plus, le doute est permis. Cette maison, qui est bien une vraie maison (en l’occurrence celle de Dalida), est présentée ici comme un décor branlant dont il n’existerait que la façade.
Par la mise en perspective de ces deux pièces, l’artiste réussit un tour de passe-passe qui sème le trouble, rendant le lieu de l’illusion cinématographique réel, et la réalité du lieu de vie d’une star, illusoire.
La vidéo Blondasses, réalisée en 2002 avec Jean-Yves Jouannais, monstre un véritable work in progress en plein champ, doublé d’une voix de synthèse à l’accent américain, mâchonnant le texte de Jean-Yves Jouannais sur l’inadéquation du global au local. Blond/asses, expérience de groupe estivale dans le sud, pendant laquelle artistes et agriculteurs collaborèrent activement à la construction de trois monumentales perruques, appartenant respectivement à Claudia Schiffer, Sharon Stone et Pamela Anderson.
Ou comment transformer ces archétypes de la beauté à l’américaine en de gigantesques beautés des champs habitables, blondes comme du blé transgénique, canons de beauté (dé)naturés. Et par là interroger la possibilité d’un déplacement du champ de l’art dans les champs, précisément, et réfléchir sur un «devenir-paysan de l’artiste», un devenir minoritaire de l’art, selon la belle formule de Jean-Yves Jouannais.
Au travers de l’exposition, Alexandre Perigot poursuit sa mise en faille des archétypes de l’illusion du spectacle, alimentée par de nouveaux échanges, (Radio Popeye visant à devenir un véritable label de collaborations sonores), par un retour à un land-art extravagant.
En montrant l’envers du décor, à l’envers.
Alexandre Perigot
— Radio Popeye, 2002. Installation.
— Maison témoin. Maison de Dalida, 2001. Photo.
— Blondasses, 2002. Vidéo couleur, 16 mn.