L’exposition « En suspens » au Bal, à Paris, réunit les photographies de quatorze artistes contemporains autour de l’état de suspens qui peut être celui d’un homme, d’un collectif, de la société dans son ensemble.
« En suspens », un état du monde capté par la photographie
Conçue comme une constellation a priori hétérogène de visions, de lieux, de contextes et de problématiques, l’exposition rejoint par sa dimension poétique le caractère intangible, quasiment abstrait, de son sujet : le fait d’être en suspens. A travers cette notion, elle vise à transmettre un aspect de notre époque qui serait caractérisée par une sensation de blocage, de répétition de schémas identiques, de précarité, de l’absence d’une communauté de destin, de perte de repères et de sens.
La série de photographies Changing Rooms (Vestiaires) du jeune photographe polonais Darek Fortas, s’inscrit ainsi dans un travail qu’il a mené sur les mines de Haute-Silésie. Lui-même fils de mineur, Darek Fortas s’intéresse à la place des mineurs dans l’histoire politique et sociale de son pays. La série, en se focalisant sur les vestiaires de mineurs dont elle offre une classification typologique, souligne la dimension culturelle et socio-politique de l’architecture industrielle. L’image des vestiaires de la mine de Jas-Mos, demeurés identiques depuis l’ouverture de la mine en 1964, questionne aussi le paradoxe du pouvoir politique des masses « capables de renverser des régimes mais impuissantes à véritablement changer leur destin ».
Henk Wildschut et Debi Cornwall montrent des êtres en suspens
Avec la série photographique Ville de Calais, Henk Wildschut documente depuis 2005 la jungle de Calais : ce travail sur le long terme repose sur la captation à intervalles réguliers d’images du camp qui en montre la lente mais inexorable transformation d’une poignée de tentes de réfugiés en une véritable cité avec ses boulangeries, ses restaurants, ses magasins, ses mosquées, son église ou encore sa bibliothèque. La jungle de Calais, devenue Ville de Calais habitée par dix mille habitants survit à chaque démantèlement en renaissant ailleurs. Le travail documentaire de Henk Wildschut montre une société spontanée vouée à l’effacement, entre visibilité et invisibilité.
Le projet Beyond Gitmo de Debi Cornwall s’intéresse à un autre type d’êtres en suspens : quatorze anciens détenus du centre de détention américain de Guantanamo. Souvent exfiltrés dans des pays étrangers dont ils ne parlent pas la langue, privés de papiers et toujours sous le joug de restrictions de leur droit de circulation, ils sont en errance, ni vraiment enfermés ni entièrement libres.