Communiqué de presse
Barbara Probst
Barbara Probst
Bien qu’utilisant la photographie et ayant achevé sa formation à l’académie de Düsseldorf, où fut considérable l’influence du couple d’artistes Bernd et Hilla Becher, l’œuvre de Barbara Probst semble miraculeusement sortie indemne des automatismes que l’on peut déplorer chez nombre de ses contemporains.
Fondée sur le même principe technique et conceptuel depuis 2000, elle n’en est pas moins variée et originale. Toutes les pièces produites depuis cette date ont au moins en commun un titre « Exposure » (exposition) et d’être composées de plusieurs images prises simultanément dans lesquelles interviennent un ou plusieurs personnages. De deux, au minimum, le nombre de panneaux va jusqu’à douze, récemment.
Parfois les images d’un même ensemble sont très similaires. Les deux appareils photos utilisés sont disposés côte à côte en formant un angle très léger.
Deux personnages sont côte à côte par exemple et les objectifs sont chacun braqués vers les yeux de l’un ou de l’autre. Les « capteurs » reproduisent donc, dans l’espace, l’angle formé par le regard des protagonistes, à moins que ces regards n’aient été orientés par eux.
Parfois les images sont très différentes, mais un détail permet de les relier à un même lieu ou événement. Une vue générale et un détail par exemple.
Le rapprochement des images, alternant couleur et noir et blanc, semble coopérer à la résolution d’une énigme. Les photos s’effacent en quelque sorte derrière l’événement qu’elles présentent de manière énigmatique.
Le détail d’une main d’adulte serrant celle d’un enfant paraît menaçant, saisi au téléobjectif, mais la vue générale « désamorce » nos soupçons.
Parfois les deux images prennent des points de vue presque opposés. Vue de face, vue arrière. Mais si l’on n’identifie pas la silhouette, ces deux images nous apparaissent quasi étrangères.
L’identification, d’ailleurs, est rarement difficile. En quelques secondes l’affaire est jouée. Pourtant quelque chose de troublant se passe et continue. Car, bien sûr, l’œuvre ne se résume pas à une recette.
On croit disposer d’un seul point de vue face au réel. Comme si de ce réel, dont nous sommes pourtant le spectateur et rarement l’acteur, finalement, nous nous pensions l’auteur.
La plupart de nos certitudes sont ainsi géocentrées. Non seulement nous ne sommes portés à croire que ce que nous voyons, mais encore ne le croyons-nous que vu sous un certain angle.
Les cubistes s’étaient déjà essayés à saisir les objets sous plusieurs points de vue à la fois. Et qu’en était-il ressorti ? Au lieu d’une meilleure compréhension, c’est au contraire la perte du réel qu’ils se virent reprocher.
La photographie offre du réel une restitution transparente, pense-t-on. Mais chez les Becher, connus pour leurs photographies d’architecture non interprétatives, la frontalité est déjà artificielle et le réel est sélectionné.
Pour pouvoir saisir un bâtiment dans son ensemble, il faut du recul. Or toutes sortes d’obstacles s’interposent devant et derrière nous, qui nous empêchent de le regarder ou qui se superposent à lui.
Le réel nous est donné et nous en composons une version personnelle qui est fragmentaire. C’est à cet exercice que se livre inlassablement Barbara Probst depuis huit ans.
Les nombreux appareils photos dont elle commande le déclenchement simultané par signal radio creusent un espace rendu encore plus chaotique par cette particularité qui se donne en plus : la simultanéité.
Que plusieurs sons résonnent simultanément et ils forment ainsi un accord que nous pouvons saisir. Mais comment saisir, dans la vie, plusieurs fois le même événement vu sous plusieurs angles et de plus simultanément ? Cette simultanéité, comme l’ubiquité, la vie nous la refuse. Combien de photographes se cachent derrière chaque photographe dans « Exposure #22 », par exemple ?
Le fait que tout ce que nous voyons dans les œuvres de Barbara Probst se passe au même moment, a quelque chose d’incompréhensible. Et il en découle une impression d’artificialité renforcée par l’atmosphère du studio qui apparaît très souvent dans les images et dont tout le matériel s’ingénie à reproduire artificiellement les conditions du réel : à commencer par la lumière.
Comble de l’artifice, une dimension cinématographique s’impose assez rapidement. Et cette sensation est d’autant plus forte quand le nombre d’images devient important. Les gesticulations des figurants photographes recrutés par l’artiste rappellent celle du protagoniste du film « Blow Up », d’Antonioni. Les diptyques en forme d’énigme évoquent le film noir. On peut noter une inflexion fictionnelle et psychologique dans les derniers travaux. Antonioni, encore, ou Ozu, pourquoi pas ? Nombre de cinéastes ont filmé l’attente.
Dans « Exposure #55 », l’une de ses dernières œuvres, Barbara Probst la photographie.
Une attente qui dure une fraction de seconde mais qui nous donne à nous, spectateurs, l’impression de s’éterniser, puisque c’est nous qui nous la projetons sur ces personnages saisis à la vitesse de l’instantané, et nous avons tout notre temps pour conjecturer tel dénouement à l’action qui, croyons-nous, se joue devant nos yeux, mais qui en vérité s’est arrêtée en plein élan et pour toujours.
Frédéric Paul.
À quarante-quatre ans, Barbara Probst n’a eu que très rarement la faveur des institutions. L’exposition que vous propose le Domaine de Kerguéhennec est sa première en France.Â
Vernissage
Samedi 4 octobre à 15h.