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Bamboo Blues

Depuis 1989, depuis le bouillonnant Palermo, Palermo et son portrait dansé de la cité sicilienne, Pina Bausch voyage. Personne ne pourra lui reprocher cette ouverture, cette gourmandise de l’autre. Et pourtant, cette incursion hors des frontières de Wuppertal signe la fin d’une époque, celle de Barbe Bleue (1977) puis de Café Müller (1978), dont on ne cesse de regretter, secrètement, la sublime cruauté et les tragiques emportements. Un temps où les corps des interprètes se consumaient sous la brûlure de l’inconscient, remonté à la surface à force d’improvisations et de paroles échangées, de mouvements répétitifs et de luttes homme/femme.

Mais, contrairement aux évidences, ce n’est pas cette dévorante nostalgie qui nous fait douter de la dernière création de la chorégraphe. Si Pina Bausch a vaincu les douleurs par la sérénité, gagnant en fluidité ce qu’elle a perdu de force expressive, troquant ses compositions de groupe chaotiques contre des solos apaisés, on veut bien la suivre. Si, convertie à la joie et au rire, la grande dame de la danse contemporaine veut « offrir à chacun la possibilité de voir ce qu’il y a de beau dans le réel de nos vies », soit… Pourquoi ne pas recevoir avec gratitude ce don de clairvoyance?

L’esprit ouvert, donc, et l’impatience au ventre, nous nous laissons embarquer dans ce Bamboo Blues, inspiré des beautés et des paradoxes de la péninsule indienne. Mais, très vite, les effets de voiles et de vent, les couleurs saturées des robes de plus en plus longues, de plus en plus virevoltantes, les petites scénettes de vie quotidienne et l’humour décalé qui s’en dégage, ne suffisent plus à nous emporter. Pire, les ressources stylistiques et théâtrales de la chorégraphe — chevelure caressante et tournoyante, seaux d’eau dans lesquels on tente de se noyer, taquineries amoureuses, reptations solitaires et portés intrépides — font l’effet d’une rengaine.

Devant cette standardisation du mouvement, la singularité des interprètes, recherchée avec obsession par la chorégraphe, s’en ressent. Les solos se suivent et se ressemblent. Les corps perdent en authenticité et notre attention en intensité.

Depuis toutes ces années, donc, Pina Bausch voyage et nous voyageons dans son œuvre, jusqu’à en connaître les moindres recoins, si bien que la découverte se grime de familier, transformant le dépaysement en lassitude. Malgré tout, au sortir du spectacle, quelque chose nous dit que tout n’est peut-être pas fini entre nous et la chorégraphe et que le vent, si présent tout au long de la pièce, peut encore tourner…

 

— Chorégraphie: Pina Bausch
— Interprétation: Tanztheater Wuppertal

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