Yona Friedman et Jean-Baptiste Decavèle se sont bien trouvés. Amis dans la vie, les deux hommes collaborent ici pour la première fois. Une invitation de Jean-Baptiste Decavèle à son aîné. Une invitation à enfreindre son espace de photographe et de vidéaste sitôt saisie par le complice architecte, lui-même habitué à rêver les structures par le dessin.
Le résultat de cette entreprise est une exposition intitulée «Balkis Island», en hommage à Balkis, le chien disparu de Yona Friedman. En hommage à tous les voyageurs, ceux qui arpentent les géographies impossibles du globe comme ceux qui les imaginent. La fiction Balkis Island est au carrefour de ces désirs et fidèle aux aspirations des deux artistes.
En quelques points de vue, les photographies de Jean-Baptiste Decavèle parlent d’une terre étrange, uniquement habitée par des plaines rocailleuses, à proximité de l’océan et de l’écume des vagues. Des paysages de frontières pour souffler sur nos habitudes de sédentaire le parfum de l’extrême, de la ligne de fuite, des trajets perdus sur les reliefs secs et tendus des terres australes.
Les parcours de Jean-Baptiste Decavèle lui font souvent emprunter les surfaces polaires. Il en ramène des images purement topographiques, des portraits anonymes, extractions minimalistes d’un environnement hostile. Un réel où la narration disparaît dans le vide de ces lieux que l’histoire n’a pas chargé, si ce n’est par les récits des explorateurs. Pas d’images ou très peu, il n’en fallait pas plus pour que la fiction architecturale de Yona Friedman s’empare de la réalité et la rende encore plus réelle.
Car tel est le propre de son travail. Repenser les modes de vies, recomposer les modules d’habitations et les flux qui dessinent nos cités à travers des architectures «spatiales» dont l’intérêt réside avant tout sur la mobilité et la permutation des sites et des hommes. Yona Friedman invente des plateformes nomades sur lesquelles évoluent des espaces privés et publics dans le respect des rythmes naturels.
Pour «Balkis Island», il imagine ce que pourrait être une ville active six mois dans l’année, la saison où les températures sont supportables et la lumière permanente. Le reste du temps, la ville n’existerait pas et les hommes s’accorderaient aux périodes de migrations. «Si les oiseaux le font pourquoi pas les humains?» interroge d’ailleurs l’architecte.
Les photographies de Jean-Baptiste Decavèle constituent le champ d’application de Balkis Island, cette ville invisible mais possiblement matérielle comme les fantasmait Italo Calvino. Yona Friedman y superpose ses dessins, des lignes ininterrompues désignant tour à tour des flux de circulations suspendus dans le vide, des habitats isolés aux échancrures subtiles, d’autres plus denses et plus massives qui prennent la forme de tours d’immeubles.
Sur cette cartographie du vide laissée par Jean-Baptiste Decavèle le photographe, Yona Friedman l’architecte invente une histoire et des lieux de mémoire, une ville ex-nihilo qui s’emploie à réactiver les utopies de l’urbanité maîtrisée. Mais il offre aussi une vision finalement quelque peu autoritaire et restrictive des environnements naturels et au-delà , si l’on devait poursuivre la métaphore de Balkis Island, de la préservation d’espaces lunaires sur terre, ces endroits où par chance nous n’irons jamais.
Yona Friedman & Jean-Baptiste Decavèle
— Balkis-Island, 2008. Tipp-Ex sur transparent et tirage photographique. 21 x 30 cm
— Balkis-Island, 2008. Tipp-Ex sur transparent et tirage photographique. 2008. 21 x 30 cm