Aaron Curry
Bad Brain
Le travail de l’artiste américain Aaron Curry crée un lien entre les tensions formelles et sociales de l’art du siècle dernier et les univers médiatiques et urbains actuels. Ancien élève de Jim Shaw, il a élaboré en dix ans une «matrice formelle» post-digitale, brutale et acide, faite de bouts de culture visuelle puisés dans le monde de l’image actuel, un monde en constante mutation auquel l’artiste est accroc.
Aaron Curry marie notamment des formes modernistes à des références culturelles spécifiques illégalement tirées de publicités trouvées à Los Angeles et sur internet. Ses sculptures totémiques, peintures et collages quasiment tous tagués font fusionner la mémoire du cubisme, du surréalisme et de l’art précolombien avec le graffiti, l’image digitale et la culture people, ou encore avec le cinéma de science-fiction, des legs du folklore américain et le style tordu des comics des années 1950.
Son Å“uvre ouvre une voie entre des mondes contrastés et des imaginaires divergents dont les formes, vaguement anthropomorphiques oscillent entre figuration, organes internes et abstraction moderniste. Cette quantité incroyable de motifs et de sources absorbées et amalgamées par l’artiste en une dizaine d’années dessine les contours d’un monde prolifique qui allie beauté, vulgarité, désir, dégoût, idoles et détritus contemporains avec esprit dans une subversion douce.
Dans ce monde, l’artiste n’agit pas seulement comme une machine mais comme une mémoire. Une mémoire dont l’exploitation dépasse la citation et l’appropriation et nous fait entrer de plain-pied dans la question de sa digitalisation avec laquelle l’Å“uvre de Curry coïncide historiquement. Il produit effectivement des images et des formes qui, parce que graduellement transformées, ne laisse visible aucune étape liée à leur réalisation. Un type de morphing caractéristique du formalisme vernaculaire post-digital — et peut-être, paradoxalement, la forme la plus aiguë du réalisme critique aujourd’hui — que les expositions immersives récentes de l’artiste ont rendu manifeste en «tridimensionnalisant» un monde plat.
L’exposition au CAPC est la première à proposer une vision rétrospective de son Å“uvre. Elle entend mesurer les enjeux d’un tel paradoxe, celui d’un formalisme critique qui, comme dans Doom, et d’autres jeux vidéo Shoot’em up qui utilisent la platitude pour suggérer la profondeur, prend ici l’apparence de la platitude pour atteindre et interroger la puissance de l’Empire avec laquelle son Å“uvre interagit.
Avec l’exposition «Bad Brain», Aaron Curry utilise la nef du CAPC comme une «cage». Dans cet environnement immersif structuré autour de quatre-vingts Å“uvres réalisées entre 2003 à 2014, les sculptures, peintures et collages de l’artiste questionnent la tradition artistique occidentale tout en réfléchissant au vertige perceptuel de notre monde digitalisé qui peut être vu, ici, «[comme] la cause mais aussi l’occasion» de l’Å“uvre d’Aaron Curry.