Vos projets relèvent d’une véritable économie de moyens.
Lucie Le Bouder. La plaque de plâtre m’a intéressée parce que c’était un matériau pauvre et très courant. Je poursuis mes recherches sur ce dernier car je sens que je n’ai pas encore exploré toutes les pistes que propose ce médium. Il offre de multiples possibilités en volume ou à plat.
La plaque de plâtre se retrouve à de multiples occurrences dans votre démarche. Elle dénote un rapport particulier à la cimaise. Pour «Back Line», en ce moment à la Galerie 22,48m2, vous présentez des structures qui reprennent ce même matériau. Que représente-t-il pour vous?
Lucie Le Bouder. Cette exposition parle du mur de différentes façons, qu’il soit un élément d’architecture, ou un espace de présentation dans une galerie. J’essaie d’opérer un glissement des murs de la galerie vers le statut d’œuvre, et au contraire de passer de mes sculptures vers les cimaises. J’ai utilisé la plaque de plâtre dès mes études aux Beaux-Arts de Nantes. Je me suis alors rendue compte, lors de mes recherches, puis lors d’une résidence à Tokyo, que les dimensions des plaques, et leurs teintes, variaient selon les pays. J’expérimente ce médium en tant qu’entité propre, simple mais au potentiel vaste. J’extrais ce panneau de son utilisation première, pour le moduler, pour produire autre chose.
Votre matériau de prédilection semble instaurer une limite floue entre la cimaise et la sculpture.
Lucie Le Bouder. Je mets en place un jeu de contiguïté entre mes structures et leur référent, pour perturber leur lecture. Ici la sculpture est adossée au mur et une bande de couleur vive se reflète sur lui. Il y a un rapprochement et en même temps une frontière infime s’immisce entre la sculpture, son matériau et son étai. Dans Pli #3 (2014), une connexion s’effectue par la couleur reflétée, entre ce fragment, arraché à son usage premier, et son référent.
Ces structures sont accompagnées, ici, d’une peinture murale, Wall #2 (2014), qui interroge d’une autre manière votre rapport à la cimaise.
Lucie Le Bouder. La peinture murale composée de différentes nuances de blanc vient compléter, ici, un questionnement autour des murs de présentation d’une galerie. J’avais réalisé une première œuvre in-situ, de ce type, à la Fonderie Darling en 2013, à Montréal. Pour la Galerie 22,48m2, je donne une nouvelle perspective au mur en cherchant une certaine profondeur, par les formes peintes sur sa surface. Le point de départ de Wall est le livre Espèces d’espaces dans lequel Georges Perec évoque un tableau que l’on oublie autant que le mur qui le supporte au quotidien. Pour moi, il s’agissait d’apposer une peinture directement sur le mur, pour questionner notre vision de ces deux objets. Finalement, oublie-t-on la cimaise ou la peinture face à cette pièce? Elle reste indéterminée dans son approche. On ne la voit presque pas si on l’observe depuis la vitrine, pourtant une fois devant on remarque toutes ses nuances colorées. Douze teintes créées à partir du même blanc ressortent, par contraste quand elles sont placées les unes à côté des autres, alors qu’en pot elles se confondaient. Paradoxalement le mur s’estompe en révélant la peinture, qui elle-même semble s’effacer quand elle est composée de blancs proches de la teinte de la cimaise.
Au-delà de la cimaise qui s’offre comme étai, aux modules comme Pli #4 (2014), le sol semble essentiel dans le développement de vos sculptures, comme dans le cas de Structures primaires, à Saint-Nazaire, pour la biennale Estuaire 2009. Dans quelle mesure l’envisagez-vous?
Lucie Le Bouder. Structures primaires était conçue comme le déploiement d’un cube sur le coin d’un blockhaus. Même si l’installation restait très plane, en la repliant sur elle-même on recréait le cube. Je n’imagine pas mes modules dans un rapport direct au sol, même s’ils se déploient sur ce dernier. Je pense plutôt en terme de volume. Mes sculptures s’extraient du sol pour se développer dans l’espace. Le sol est à la fois le lieu où repose le mur, mais aussi l’endroit d’où il naît.
Broken Floor (2009), Ã Tokyo, semble relever de l’effondrement, d’une chute vers le sol…
Lucie Le Bouder. D’un certain point de vue cette installation constituée de panneaux pliés et imbriqués, disposés dans une salle de classe nippone, ressemble à l’effondrement d’un bâtiment. Le sol l’appelle, et pourtant ce qui m’a intéressée ici, c’est le volume. Plus que d’être dans un rapport unique avec le sol, je dessine et sculpte l’espace et le volume de la pièce. Broken Floor n’est pas un uniquement un effondrement, mais un potentiel de reconstruction pour le spectateur qui déambule à travers le dispositif. Rien n’est figé.
Votre pratique rejoint celle de la sculpture, mais dans une acception étendue du terme. La peinture murale devient presque une manière de creuser les couches de matière qui se superposent sur la cimaise. Les dessins se révèlent par le geste de lacération opéré au cutter sur la surface de papier.
Lucie Le Bouder. Dans les dessins c’est le blanc qui ressort de la surface colorée, parfois brillante du papier. Je révèle sa matière même en lacérant la couche supérieure de la page. Un relief prend forme par la coupure. Celle-ci crée aussi un lien entre les modules en plaques de plâtre et les dessins qui sont eux-mêmes découpés au cutter. Cet outil utilisé pour construire des maquettes en architecture me sert à mettre en volume des formes. A l’encontre de l’essence même du dessin, je n’opère plus par recouvrement mais en taillant la matière même de la feuille de papier. Je dessine une forme par son absence. La ligne blanche crée le dessin.
Les lacérations révèlent le support et montrent ce qu’il y a derrière les surfaces brillantes. Système P3 (2012), se construit dans cette même optique entre support et surface.
Lucie Le Bouder. Pour ce projet j’ai peint la structure métallique de la paroi, du même vert que les lignes du dessin qui recouvrent sa surface. J’aime l’idée de découvrir l’envers du décor, ce qui se cache derrière l’apparence des choses. Mes dessins au cutter de la série Plan fonctionnent de la même manière. En grattant, on se pose des questions sur la relation entre le devant et le derrière. C’est le décalage entre les deux qui m’intéresse le plus. Cette mise en relation qui n’apporte pas de réponse mais s’ouvre à de multiples projections du spectateur.
Ces dessins, inscrits par coupures sur le papier, se réfèrent implicitement à des plans architecturaux. Quel rapport entretenez-vous avec l’architecture?
Lucie Le Bouder. Avant de faire les Beaux-Arts j’ai suivi une formation en design d’espace dans laquelle j’ai notamment étudié l’architecture et l’urbanisme. Mon intérêt pour cette pratique est donc élevé. Assez naturellement, je me suis orientée vers des recherches sur l’architecture. C’est souvent grâce à la découverte de nouveaux lieux, à l’architecture, que j’ai développé mes dessins ou mes pièces en volume. Je ne m’intéresse pas forcément à un style, ou un architecte en particulier, je préfère porter un regard global sur une ville par exemple. Je pense à mes voyages à Tokyo, à New York ou Chicago qui m’ont fait connaître de nouveaux matériaux, de nouvelles formes. Je me suis aussi intéressée à la vision que l’on peut avoir de l’urbanisme à travers Google earth©. Le logiciel recompose le territoire par l’association de formes qui dessinent des blocs particuliers.
Cette recomposition se retrouve aussi dans votre travail. Les différents Plans ici exposés retraitent de manière abstraite des données graphiques architecturales et les recomposent en strates.
Lucie Le Bouder. J’ai fait au départ des recherches de plans, sans m’attarder sur un type de bâtiment ou un style. Je m’intéresse plutôt à la superposition des différents niveaux retransmis par le plan. Les formes s’imbriquent effectivement en strate afin de créer un dialogue par les lignes entre les différents modules géométriques. Il s’agit aussi de créer du volume et d’instaurer une impression de profondeur. Une tension récurrente apparait entre la planéité et le volume dans mon travail. Ici la ligne, tracée au cutter, révèle le blanc du matériau et crée la profondeur. C’est finalement au visiteur de creuser à travers ces petits sillons, ces brèches, qui perturbent la surface des objets exposés.
Oeuvres
— Lucie Le Bouder, Plan 02, 2013. Dessin au cutter sur papier couché sur chrome. 50 x 65 cm
— Lucie Le Bouder, Plan 03, 2013. Dessin au cutter sur papier couché sur chrome, 50 x 65 cm
— Lucie Le Bouder, Plan 04, 2013, Dessin au cutter sur papier couché sur chrome. 50 x 65 cm
— Lucie Le Bouder, Pli 03, 2014. Papier, plaque de plâtre, 67 x 86 x 9 cm
— Lucie Le Bouder, Pearl Cutting 03, 2013. Dessin au cutter sur papier couché sur chrome, 21 x 29,7 cm
— Mucie Le Bouder, Plan 05, 2013. Dessin au cutter sur papier couché sur chrome, 50 x 25,9 cm
— Lucie Le Bouder, Pli 02, 2014. Papier, plaque de plâtre, 64 x 44 x 15 cm
— Lucie Le Bouder, Plan 06, 2014. Dessin au cutter sur papier couché sur chrome contrecollé sur aluminium. 69 x 100 cm
— Lucie le Bouder, Pli 04, 2014, Papier, plaque de plâtre. 126 x 47 x 7 cm
— Lucie le Bouder, Wall 02, 2014, Œuvre in situ, peinture acrylique. 557 x 267 cm