«In carne». Dans la chair. L’artiste indienne Anita Dube incarne au sens littéral du terme les mots, qu’elle cisaille dans la chair animale. Les mots «Resistance» et «Prison» sont ainsi générés de cet amas sanguinolent, comme si ce dernier leur donnait naturellement naissance. A l’instar de Michel-Ange pour qui le sculpteur ne fait que révéler une forme déjà contenue dans le marbre, Anita Dube révèle ces mots intimement liés à notre être. Si ces lettres de chair ne sont pas exposées, une vidéo montre la performance de l’artiste et des photographies en noir et blanc mettent en scène ces mots slogans, ces mots totems qui, une fois énoncés, taillés dans la chair, protègent et aident à lutter.
Finalement, Anita Dube traite les mots comme des fétiches. Des fétiches de velours noir… Au mur, un texte de Walter Benjamin, extrait de son ouvrage Theses on the Philosophy of History, est reproduit en écriture déliée, à l’aide de fins tuteurs que recouvre un sombre velours. Si pour ce penseur, l’histoire est une structure emplie par le temps, pour Anita Dube, l’histoire semble être une structure emplie par les mots. Cette Å“uvre fait irrémédiablement penser aux mots tissés d’Annette Messager, réunissant à la fois la lutte personnelle — car ce travail minutieux en velours appelle l’intime — et la bataille commune, de par le message que transmet le texte.
En tant que signes graphiques, les mots peuvent avoir deux sortes de matérialité: celle conférée par leur sens, et celle que leur graphie dessine. Ainsi les mots «Erotics» et «Politics», en majuscules exagérément allongées, dessinent-ils un immeuble et son ombre. Un mot-image pour dire les accointances de la politique et de la séduction.
Et, au mur, le mot «Kash» — signifiant «espoir» en hindi — est écrit à l’aide de rosaces de velours blanc au sein desquelles l’on peut contempler des photographies d’habitants et de paysages de la région du Cachemire, région minée par les conflits car partagée entre l’Inde, la Chine et le Pakistan. Mais le mot «espoir» est lisible à travers les portraits et paysages de cette région, alors…
Ainsi, tout est lié. Les mots, leur graphie et leur sens, et l’histoire des hommes. Indissociables les uns des autres, inscrits dans les chairs.
Å’uvres
— Anita Dube, Elegance (for Mireille), détail, 2011. Fils d’acier recouverts de velours noir. 124 x 254 x 15 cm.
— Anita Dube, Erotics / Politics, 2011. Fils d’acier recouverts de velours noir. 86,4 x 101,6 cm.
— Anita Dube, Kash, 2011. Tablettes recouvertes de velours blanc et photographies.
— Anita Dube, Resistance, 2006. Epreuve digitale sur papier d’archive. 28 x 42 cm.