Quand Lea Petra joue du piano, elle transforme l’instrument en tablas, en xylophone, en instrument de percussion. La pièce Autóctonos II, de la chorégraphe argentine Ayelen Parolin, prend ainsi les traits d’un quintette chorégraphique rythmé. Avec, sur scène quatre danseurs (Daniel Barkan, Jeanne Colin, Marc Iglesias, Eveline Van Bauwel) et une pianiste. Dans une société où le groupe est à la fois omniprésent et l’indifférence maximale, Autóctonos II, interroge l’unisson. Le rapport entre les individus et l’ensemble, pour un va-et-vient mêlant inclusion et exclusion. Rythmique soutenue, les protagonistes tiennent des cadences infernales. Livrant une performance proche de l’abstraction mathématique, de l’endurance. Danse presque guerrière, la figure du cercle affleure. Et tandis que le rythme s’intensifie, Autóctonos II donne à percevoir la puissance, physique, du groupe. Entre pression et concentration d’énergie, pour trouver la force de tenir, ou de résister.
Autóctonos II d’Ayelen Parolin : une chorégraphie tout en cercles et hachures
Vêtus de noir, dans un décor minimaliste (murs blancs, sol blanc, un piano), mais à la faveur d’une lumière douce, les danseurs occupent le centre de l’espace scénique. Mouvements saccadés, leurs déplacements évoquent tour à tour des danses tribales, des échos d’arts martiaux, des éclats de mouvements robotiques. Tout ce qui, en termes d’images (ou d’a priori) se rapporte à des rythmiques hachées. Trop lent pour relever de la convulsion ou de la transe ; trop rapide pour s’apparenter à la rassurante régularité des horloges. Ni tout à fait dionysiaque, ni complètement apollinien. Le cercle qu’ils forment au fil de leurs glissements rappelle presque une clôture. À l’instar du titre, Autóctonos II [du grec autókhthônos], qui évoque les mythes premiers. Ceux dans lesquelles certains humains, les autochtones, s’auto-engendrent en sortant directement de la terre. Ne venant de nulle par ailleurs sinon de cette même terre, qu’ils occupent de génération en génération.
Structurante ou oppressante : la force du groupe et du piano staccato de Lea Petra
Dans son travail, Ayelen Parolin interroge régulièrement les liens entre modernité et tradition. Avec d’un côté une société mécanisée, codifiée, uniformisée. Et de l’autre un rapport quasi-chamanique au mouvement. Comme une confrontation entre productivité et spiritualité. Pour Hérétiques (2014), déjà en compagnie de la pianiste Lea Petra, Ayelen Parolin avait composé un spectacle en forme de trio. Les deux danseurs, dans un effort d’endurance, y déployait des variations de triangle. Tandis que Nativos (2016) aura consisté en une reprise d’Hérétiques, mais avec quatre danseurs coréens. À travers Autóctonos II (2017), Ayelen Parolin semble déployer une lutte mémorielle, entre formes géométriques, presque amnésiques, et rémanences de chamanisme ou d’images venues d’ailleurs. Une confrontation qui résonne avec la rupture moderne. Ce moment où, dans la transmission de la mémoire collective, les symboles mathématiques et alphabétiques auront pris l’ascendant sur les allégories. Pièce énergique, Autóctonos II garde une part de mystère.