ÉCHOS
20 Oct 2009

Aux astres. Vassili Kandinsky

PPaul Brannac
@

Kandinsky, c’est une évidence à retard. Un combat de temps. Quelque chose qui perce, quelque chose qui vient, qui vient et arrive.

Vassili Kandinsky
Il n’y a pas d’adjectif qui résiste à ses peintures, parce qu’il n’y a pas de mots.
Kandinsky, c’est une évidence à retard. Un combat de temps. Quelque chose qui perce, quelque chose qui vient, qui vient et arrive. Et lorsque cela arrive, cela n’a pas encore percé, car désormais on le retient, on se retient, on ne veut plus voir. Parce que si l’on ne se contient plus, si l’on regarde vraiment, c’est au plus beau des jurons que notre bouche, à part soi, parvient et crache.

Kandinsky, la ligne, la couleur, la lumière : un vitrail !
C’est un cosmos. Dans sa huitième composition, il y a huit planètes, dont deux s’accouplent. Sa Voie lactée est un épais lacet noir qui s’envole en minaudant. Libre son ascension et cependant pas un astre qui ne déborde la sanction du cadre.

Kandinsky a vu quelque chose que nous n’avons pas vu — peut-être parce que nous n’avons pas peint —, et cette chose, c’est le mouvement de l’univers, c’est le calcul d’une révolution réalisé sans plus d’erreur que les Mayas il y a mille six cents ans. C’est la modernité qui soudain retourne à ce que les archaïsmes ont de superbe, au hiératisme des icônes, à la hiéroglyphie des énigmes, à la hiérarchie des signes mathématiques dont on sait qu’ils disent tout sans pourtant rien y comprendre, et dont les formes encore empruntent à l’arbre, tandis que les nôtres tiennent de la poussière. C’est une géométrie qui a tant de couleurs que chaque toile réunit dix nuanciers rayés par un arc, une triple griffe qui est une rature peut-être ou trois cils de femme.

Comment peindre le vent, se demandait Léonard de Vinci. Cela, Kandinsky n’en dit rien, mais il a fait danser l’atome en le gardant immobile; cette invisibilité-là est devenue tangible — immobile et furieuse, c’est cela une couleur; cela peut-être une bourrasque.

Dans les huiles de Kandinsky, il y a souvent de l’aquarelle, presque du tachisme, et il y a cette touche héritée des impressionnistes qu’il masque peu à peu mais qui transparaît encore des bruns, en filigrane des gris; de même que Picasso, et Braque surtout, l’ont préservée à l’avènement du cubisme.

Léonard encore, lorsqu’il fut lui aussi maître d’atelier, professait : «La nature est un cosmos et la beauté en est la loi révélée».

Dans Trait transversal, comme dans bien d’autres de ses toiles, il y a, au centre excentrique de ce cosmos, des lignes qui se croisent en un triangle dense. Ici, il est rectangle, mais son hypoténuse est courbe, car nul monde humain, fût-il abstrait et campé sur ses codes, n’est exact, il est tangent ; il est fragile. Et autour, semblant parfaits eux aussi lors même qu’ils tremblent, des cercles se suspendent aux demi-tons du ciel, dont les halos soulèvent les noyaux denses de jaune, de rouge et de bleu et il n’y a plus de combat, comme si un peintre, par le secret de sa solitude, avait tout à coup osé plus que les parhélies, comme s’il avait osé soudain capturé le soleil.

AUTRES EVENEMENTS ÉCHOS