Le programme des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis annonçait une pièce prenant pour sujet « le rapport danse-musique, trop souvent réglé sur pilote automatique », d’où son titre, Auto, préfixe signifiant que l’élément en question s’exécute tout seul. Au sortir du spectacle, on se demande surtout ce que l’on vient de voir, on s’interroge. Et, lorsqu’une ouvreuse nous glisse enfin le dépliant qui accompagne la représentation, on se heurte à ces mots : « desillusionsdesillusionsdesillusionsdesillusions … »
Non content de démonter tout lien d’évidence entre danse et musique, David Wampach brouille également ceux qui unissent le spectacle à son texte, qu’il précède ou qu’il suive la représentation. S’il s’avère toujours délicat d’écrire à propos de danse, ce type de proposition problématise encore plus l’exercice.
Sur scène, le spectacle s’ouvre sur les déplacements d’Aurélien Richard, interprète et compositeur de la partition d’Auto. Tout en frappant avec régularité une même note sur son piano, il fait glisser l’instrument de part en part du plateau. Son visage, recouvert de mousse à raser, évoque les bustes en plâtre des compositeurs célèbres, tandis que son corps, habillé de noir, se fond, comme son piano, dans la pénombre de la scène.
Ces apparitions alternent avec celles de David Wampach, travesti en femme. Perché sur de hauts talons, vêtu d’une robe laissant le dos nu et d’une longue perruque blonde, il arpente la salle lentement, arborant une attitude énigmatique, avant d’entamer une danse langoureuse. Ce sera le seul véritable moment de danse à proprement parler. Accompagné d’accords plaqués frénétiquement au piano, en une succession plus rythmique que mélodique, David Wampach semble évoluer sur une musique électronique réinterprétée au piano. Il exécute avec une précision d’entomologiste la chorégraphie sexy, maniérée, coquette et un peu trash des jeunes femmes en boîte de nuit.
D’abord comique, la performance se teinte peu à peu d’une charge tragique qu’instaure le décalage musical. Sortie de son contexte, cette danse perd sa justification, et, par-là même voit son caractère sexuel amplifié. Le double travestissement qui s’opère concourt ainsi à une mise en tension, à la formation d’un malaise dans la réception de ces gestes sensuels. Deux projections vidéos font suite à cette danse, deux remakes dans la lignée des Body Double de Brice Dellesperger, accompagné au piano pour celui de Carrie, et par un doublage ouvertement bricolé en live par David Wampach pour Desperate Living.
En choisissant de citer ces deux fables extrêmes de la féminité (celle de l’intériorité inacceptable et dévastatrice que représente Carrie ; celle du road trip lesbien, également destructeur, de Desperate Living), Auto offre une vision hystérique, fortement critique, des poncifs de la féminité. Par ailleurs, le démontage des notions de off, de in, de live établit aussi un doute quant à l’identification des sources, leur assignation. Ainsi lorsque Aurélien Richard réapparaît derrière son piano, qu’il pousse jusqu’à nous, on ne se doute pas que c’est un dernier leurre : soudain, il lève les mains et pourtant la musique se poursuit. Car ce n’est pas un piano mais une boîte d’illusionniste, où David Wampach, accoutré en assistante de prestidigitateur, va se glisser avant d’être détaillé en morceaux. Le trucage est énorme, si malhabile qu’il met mal à l’aise. Et c’est sur cet accomplissement que s’achève le spectacle, sur notre complicité face à une illusion, des-illusions, qui ne trompent personne et qui pourtant continuent de se produire.
— Chorégraphie et interprétation : David Wampach
— Composition et interprétation (piano) : Aurélien Richard
— Traitement sonore : Felix Perdreau
— Eléments plastiques : Rachel Garcia
— Lumière : Caty Olive