Tandis que la salle du Chaudron se remplit lentement, tous les protagonistes de la pièce sont déjà en place: Rafaëlla Latini, Samuel Lefeuvre, Maytal Blanaru, la scénographie collective, la mise en lumière de Nicolas Olivier. Le plateau a été réduit et déformé par deux pans de mur noirs qui dessinent une perspective expressionniste. Les lumières, les gestes, le propos, la bande son concourent à donner un aspect minimal à cette pièce qui pose la question de l’en-commun face à la perception de ce qui nous entoure.
Souffles, bris de voix, bals oubliés, valse de Strauss: la pièce s’appuie sur une composition sonore impressionnante de maîtrise et de simplicité. Rafaëlla Latini, que l’on connait et admire pour son travail avec Vincent Dupont ou dernièrement avec Peeping Tom pour A louer, apparait comme la maîtresse d’un jeu de dupe dans lequel se débattent les danseurs. Après une immobilité absolue d’une qualité rare, Meytal Blanaru lance le mouvement à travers son corps par d’imperceptibles sursauts de ses mains et de ses pieds tandis que Samuel Lefeuvre fait glisser ses pas dans un grand ralenti presque bûto.
Dans ce jeu pour illusions, dans cette volonté de démontrer que chacun a des perceptions de la réalité qui lui sont propres et que les comprendre permettrait de les accepter, la marche apparaît comme impossible, l’enlacement aussi. Il semble que l’on ne peut que manipuler l’autre, le prendre en main, l’emmener dans des portés improbables. Il ne s’agit pourtant pas de prendre le pouvoir sur lui mais d’expérimenter sa gestuelle, de pratiquer l’autre pour le comprendre, d’emprunter son corps pour appréhender sa relation au monde.
L’étrangeté occupe l’espace grâce à des passages d’une lumière diffuse à un quasi noir, d’un espace sonore saturé à un quasi silence. Le sol est également parcouru par un robot lo-fi, chimère née de la fusion d’un aspirateur et d’une enceinte. Oubliés les effets qui habitaient Accidens, la perspective qui se déformait, l’éblouissement, les déflagrations. Oubliée la force incongrue et libératrice d’une danse folle assemblée chute après chute. Oubliée la puissance d’une danse heurtée et montée en boucle – oubliée le rapport industriel et crépusculaire au monde contemporain. Dommage. Pourtant les corps sont encore agités de secousses, de déséquilibres permanents, de sauvagerie rentrée et d’une maîtrise exceptionnelle. Pourtant il est sensible que le calme n’est qu’apparence et qu’un décalage léger ébranle parfois davantage qu’un catclysme.
[à ut] en appelle alors à une simplicité réfléchie et pose la question des différents comportements humains vus comme différentes réponse à des perceptions équivoques. Attendons donc avec impatience les prochaines interrogations d’un groupe à ne pas perdre de vue.