Interview
Par Mélanie Barthélemy et Adrien de Melo
Le projet « Plus de lumière ! » (« Mehr Licht ! ») se joue de nos frontières territoriales pour créer une liberté de rencontre entre des villes, leurs habitants et des artistes. De Ivry-sur-Seine, à Brandenburg près de Berlin en passant par Pozà n en Pologne, l’itinéraire du projet se veut complexe sans pour autant être inaccessible, bien au contraire.
Mélanie Barthélemy et Adrien de Melo. Quel a été le degré zéro du projet ?
Aurélie Sampeur. Tout a débuté fin 2001. Lors de la création du Brandenburger Kunstverein (association artistique de la ville de Brandenburg), le président m’a demandé de développer cette jeune structure. Le « ex » — ex-Allemagne de l’est, ex-industriel — associé pour le moment encore à nombre de villes de la banlieue berlinoise devait disparaître.
Les jumelages et les relations internationales des villes m’intéressaient de près. Le jumelage de la ville de Brandenburg et d’Ivry a fêté ses 40 ans en 2003. j’ai sollicité Ivry-sur-Seine pour la mise en œuvre d’un échange artistique. Les choses sont allées très vite, et de janvier à mai 2003 tout était monté.
« Plus de lumière », c’est d’une certaine façon mettre l’art à proximité du citoyen. Comment s’est organisé ce degré zéro, éminemment différent de l’édition à venir ?
Le comité de jumelage et la Brandenburger Kunstverein, deux associations des villes jumelées (NDLR : Ivry-sur-Seine en France et Brandenburg an der Havel en Allemagne) ont mis en place une plate-forme d’échanges internationaux et culturels. Les rencontres ont eu lieu à Ivry du 26 mai au 15 juin 2003, puis à Brandenburg. Cet événement, baptisé d’après les derniers mots de Goethe « Mehr Licht » était une invitation à « plus de clarté et de savoir, plus de réflexion ».
« Plus De Lumière! » a débuté à Ivry où, pendant trois semaines, des artistes de cette ville (Ianna Andreadis et Jan Sekal), de La Lisa (une ville de Cuba jumelée à Ivry, Candelario et Amilkar Fernández) et de Brandenburg (Thomas Bartel et Jan Beumelburg) ont travaillé à la réalisation d’œuvres interactives/ participatives en vue de « Ivry en Fête », qui a eu lieu le 14 juin 2003. La résidence a ainsi donné lieu à la création d’œuvres vidéos, photographiques, picturales ainsi qu’à des actions dans la rue et des installations, qui ont été exposées à Ivry, puis à la Kunsthalle Brennabor de Brandenburg. Ces artistes ont ensuite rejoint six autres artistes de Lettonie (Marija Klava), de Pologne (Marianna Michalowska, Slawek Sobczak, Roman Soroko et Anna Tyczynska) et de Slovénie (Vanja Dolinar) à Brandenburg.
Du 16 au 26 juin, diverses rencontres informelles ont été organisées en Allemagne avec les partenaires locaux. Le but était de donner la possibilité aux artistes et à nos invités, d’établir des contacts, d’échanger des idées et de planifier le développement du projet. Suite à ces discussions, un cadre de travail et de réflexion s’est mis en place pour cette année 2004. L’armature générale de « Plus de Lumière 2004 » est directement liée à ce qui s’est passé l’an dernier : la stimulation des échanges.
Quelle a été l’importance du public et des autres acteurs du projet dans ces échanges ?
Très vite à Brandenburg nous avons souhaité impliquer les élus dans cette dynamique de réflexion pour stimuler l’ensemble. L’idée générale était fondée sur une continuation tant avec les œuvres qu’avec les artistes. L’ensemble des créateurs, des administratifs de la ville d’Ivry et de Brandenburg, et des représentants de la ville de Pozà n ont été invités à réfléchir ensemble sur les initiatives locales, leurs dynamismes et le rôle des artistes dans les relations internationales des villes. Ce n’était donc pas du tout l’interactivité avec le public qui était primordiale, il s’agissait plutôt des échanges d’expériences avec des personnes ciblées. C’était vraiment plus expérimental mais cela a fonctionné.
Cependant, du point de vue du public, nous avons eu de réelles difficultés. Les grèves de l’administration française ont mis à plat toute la logistique idéalement fournie par la mairie d’Ivry. Il fallait trouver des solutions de remplacements. La conséquence directe en a été l’annulation du plan de communication dont l’absence c’est beaucoup ressenti. Mais cette première édition était aussi un rodage.
Tu penses désormais développer un système d’évaluation ?
En effet. Je travaille avec le département sociologie de l’Université de Potsdam et une professeur issue de la théorie artistique. Elle enseigne auprès de travailleurs sociaux (ou futurs travailleurs sociaux) pour les sensibiliser au rôle de la créativité dans leur profession en tant qu’outil et l’expérience de la créativité sur des personnes ayant des difficultés de construction personnelle.
Une grille d’évaluation va être mise en place et impliquera ses élèves dans le projet. Certains participent à différents niveaux artistiques, d’autres aux documents préparatoires et à l’évaluation proprement dite. Ils ont envie de venir à Pozà n (Pologne), mais la barrière de la langue reste un obstacle à résoudre. Cette question de l’évaluation est, à mon sens, primordiale pour la continuation de « Plus de Lumière! ».
Sous quel angle s’annonce l’édition de septembre 2004 ?
La structure de cette année tend à s’impliquer dans un quartier encore plus que dans une ville pour inscrire véritablement les habitants au sein du projet. Ce fut l’un des paramètres manquants l’an passé. Les deux espaces clos à Ivry ne facilitaient l’implication des habitants et suscitaient moins encore leur intérêt. Sans compter la durée limitée de la manifestation 2003 : ouverture vendredi, fermeture samedi soir. La fête a été réduite et le résultat frustrant.
Cette année, le projet ne s’inscrit pas dans la fête d’Ivry, mais dans une autre manifestation qui s’appelle « Pleins feux » en septembre, pour l’ouverture des ateliers d’artistes. La directrice du théâtre d’Ivry en profitera lors de l’ouverture de la saison théâtrale pour travailler avec trois compagnies. Chacune d’entre elles interviendra dans trois quartiers de la ville afin de sensibiliser les habitants au spectacle vivant, en réalisant des actions artistiques (théâtre de rues, installations et musique). L’objectif de la manifestation est d’introduire l’art dans la ville d’amener le théâtre et les arts visuels vers les habitants des différents quartiers qui ne vont pas au théâtre ou dans des espaces culturelles. Il y aura donc Pleins feux, cette expérience théâtrale et « Mehr Licht! ».
La manifestation « Mehr Licht! » est axée sur le fait d’aller vers les publics et les impliquer dans le dispositif créatif. Ce qui ne sous-entend pas qu’ils participent directement à la création des œuvres.
Nous avons d’ores et déjà identifié le quartier à Brandenburg. Pour ce qui est de l’autre ville jumelée, Ivry, nous sommes encore en quête du quartier ou de l’îlot que nous pourrions utiliser.
Du point de vue financier, quelle a été la stratégie adoptée pour satisfaire tous les partenaires ?
Les deux villes piliers devaient se partager les frais, selon un principe d’équité. La ville de Brandenburg étant en déficit – comme beaucoup de ville en Allemagne et encore davantage en ex-Allemagne de l’est – un partage de financement fut néanmoins possible.
Dans la ville de Brandenburg, une association d’habitants décidait de l’argent du programme européen Ville social accordé à leur quartier. Après une présentation de différents projets en lice, les membres de l’association ont entrepris de nous accorder les crédits et donc leur confiance. J’essaye désormais d’inclure des personnes du quartier dans l’organisation.
« Plus de Lumière! » 2004 s’oriente dans la voie d’actions plus localisées tout en laissant la place à chacun de s’impliquer dans le projet. Aujourd’hui, entre le cadre que tu nous décris et la réalité de cette expérience à venir, où en est le projet ? Peux-tu nous dire quel en sera le contenu ?
J’aimerais prendre l’exemple de Clément Borderie, un artiste d’Ivry. Il travaille, en collaboration avec des habitants, sur des matrices métalliques avec un générateur de froid. En le recouvrant d’une toile dans un endroit précis, il laisse l’action du temps, du climat et du générateur marquée la toile de brûlures hétérogènes; réflexion sur le lieu et le temps. Il a travaillé deux fois avec des écoles pour les impliquer dans la création de la matrice ou de la toile, et l’apport d’objets divers et spécifiques à leur environnement de vie. Du même coup, l’œuvre n’est pas seulement un objet que l’on pose. Mais ce sont les personnes engagées dans sa réalisation qui le pose à cet endroit là , précisément. La matrice peut quant à elle perdurer sur plusieurs années et créer un lien entre celles-ci et les habitants-participants. Elle constitue une photographie de cet endroit durant un temps précis. Un œuvre sensée lier ce que l’on y a vécu à l’espace commun, ceux qui habitent là et leur quotidien. Un instantané de chez soi.
Toutefois, le choix des artistes est en cours. Il s’effectue sur une philosophie globale, des hasards, des rencontres, des possibles. Ainsi comment peut-on coopérer ? Peut-on trouver une forme et un fond qui fonctionne peu importe lequel finalement ? Je préfère ne pas m’avancer, mais les caractéristiques de l’exemple précité pourront constituer des critères déterminants pour la sélection finale du corpus artistique.
En Allemagne, la résidence qui durera 2 mois fera suite à l’exposition fin juin (une dizaine de jours). Je dois faire le bilan, mais il y a à peu près une dizaine d’artistes/collectifs. Deux Ivryens, un artiste de la Lisa, un de Brandenburg, un cubain, un autre français, etc.
« Mehr Licht! » est une réflexion sur leur ville et non l’échange artistique, sur la notion d’urbanité, la structure sociologique et culturelle des habitants.
L’idée est d’avoir une vraie réflexion sur l’urbanisme. Et peut-être couplé cela à une conférence. Je réfléchis beaucoup à l’art participatif. Pourquoi et comment? Et sur la démocratisation culturelle, j’interprète cela comme une nouvelle démocratie culturelle, une démocratie participative qui ne vient pas d’ingénieurs culturels, mais directement des artistes.
Peut-on dire que l’usage que tu fais des œuvres et des installations est là pour créer du lien ?
Complètement, et c’est pour cela que je veux impliquer : pour faire et non pas que pour voir. A mes yeux, la stimulation et la prise de conscience par l’expérience et l’échange sont essentielles. De plus, ce qui sera fait dans chaque lieu devra être montré dans tous les autres lieux d’exposition. C’est un peu comme une documentation artistique. Chacun pourra voir ce qui a été fait chez lui et comment cela se passe chez l’autre.
J’ai envie d’aller au-delà de la simple présentation de l’art pour que cela rejaillisse sur celui-ci.
Quelle en sera la prochaine étape ?
Je pense qu’il faudrait transformer cette expérience en réfléchissant sur la ville avec ses habitants via des événements artistiques et culturels. Ce qui nécessitera des méthodes et des outils urbanistiques pointus. J’aimerais que « Mehr Licht! » amorce une réflexion sur l’organisation de sa propre ville et une implication réelle de la part des habitants. L’actuel projet prend sa place dans la planification urbaine des quartiers dont nombreux sont plus ou moins sclérosés.
J’aimerais travailler sur la notion de « prise de conscience » par le biais d’attentats artistiques. Faire bouger les gens! Il existe tellement de choses aberrantes, finalement on dort !
« Pleins feux »
Expositions et visites: portes ouvertes d’ateliers d’artistes.
Du samedi 25 septembre 2004 au dimanche 26 septembre 2004 Ã Ivry-sur-Seine.