ART | CRITIQUE

Aura

PNicola Taylor
@12 Jan 2008

L’artiste Martin Sastre élabore des scénarios où se côtoient pop et discours politique en remixant dessins animés, extraits de documentaires, références filmographiques et scènes de fiction où il tient le rôle du héros dans des montages vifs et rythmés.

Le soir du vernissage, l’artiste uruguayen Martin Sastre (né 1976 à Montevideo) porte un petit pendentif de la Tour Eiffel autour du cou. «Je l’ai acheté à Sydney, quand j’y étais pour ma dernière expo”, explique-t-il. Décidément, le jeune homme vit pleinement la mondialisation, opportunités et risques compris. Surtout, il ne manque pas de reconnaître les aspects curieux, amusants, contradictoires et ironiques de la vie sur la planète Terre et, plus précisément, dans le monde de l’art, comme on peut le constater dans ses oeuvres qui mêlent pop et discours politique.

La galerie Les Filles-du-Calvaire présente toutes les réalisations de Martin Sastre depuis 2002, dont The Ibero-American Videoart Awards (2002) qui lui a valu le Prix de meilleur jeune artiste décerné par la foire madrilène Arco en 2004.

En entrant dans l’espace obscurci pour l’événement, on découvre l’important dispositif de la trilogie «Video Art: The Ibero-American Legend» projetée sur les trois panneaux des murs.
Au milieu, trône un mannequin portant un costume doré: une sorte de mélange entre X-men, manga japonais et de vieux film de James Bond (Moonraker, 1979). Il s’agit du costume porté par l’artiste dans le troisième volet de la trilogie (Bolivia 3: Confederation Next) et on est ainsi d’emblée plongé au coeur de l’univers fantasmagorique et décalé de Martin Sastre.

Pratiquant un véritable re-mixage des images et des genres, Martin Sastre élabore des scénarios où se côtoient pop et discours politique. Il combine des dessins animés (Hello Kitty, Peter Pan, Beavis & Butthead), des extraits de documentaires anciens en noir et blanc, des références filmographiques (Dirty Dancing, Pretty Woman, James Bond, Mission Impossible, Top Gun) et des scènes de fiction dans lesquelles l’artiste occupe, la plupart du temps, le rôle du héros, dans des montages élaborés et au rythme soutenu.

Véritable mélomane trans-genres, Martin Sastre intègre à ses œuvres des morceaux pop et rock, du gospel, des extraits de comédies musicales et de la musique classique.
Ainsi, il mêle Cindy Lauper, les Spice Girls, Europe — ce groupe suédois qui sortait The Final Countdown en 1986 et dont on n’a plus jamais entendu parler —, l’hymne du gospel, Amazing Grace ou bien encore Julie Andrews dans La Mélodie du bonheur.
Jouant le jeu du sentimentalisme jusqu’au bout, Martin Sastre glisse également, et avec la même facilité, le célèbre quatrième mouvement de la Neuvième symphonie de Beethoven: «Alle Menschen werden Brüder…» («Tous les hommes deviennent frères»).
Cette combinaison étonnante et détonante est proposée dans le cadre de vidéos qui ne durent pas plus de quinze minutes chacune; le «zappeur» postmoderne n’a pas le temps de s’ennuyer dans cette zone de turbulences visuelles et sonores.

Ayant ainsi parfaitement intériorisé le vocabulaire des mass media, Martin Sastre se l’approprie et le détourne pour le déconstruire sous nos yeux. En effet, derrière l’humour, voire le burlesque, se cache le regard perspicace d’un observateur attentif aux événements mondiaux, et qui n’a pas peur de soulever des questions difficiles et d’exprimer une vision critique.

Ainsi, l’artiste met en scène, dans The Martin Sastre Foundation (2003), Anita, un petit personnage dessiné, qui en a marre «d’être l’objet d’études anthropologiques» à cause de ses origines latino-américaines. Ce qu’elle voudrait véritablement, c’est «être artiste».
Conscient de la difficulté des artistes aux périphéries du monde de l’art de s’y frayer un chemin, la solution de Martin Sastre est simple: il propose aux spectateurs des pays riches d’«adopter» un artiste de l’Amérique latine, comme on peut adopter un enfant en Afrique, dans une sorte de mission caritative pour l’art.

Continuant dans la veine de l’humour mordant, l’artiste opère un retour sur le passé récent dans Diana: Do You Think That’s a Coincidence? (2005). Un faux télé-reportage dévoile ici le scoop: «Lady Di’» (décédée en 1997) est, en fait, bien vivante et elle vit en Uruguay! Ici, loin des pressions médiatiques, elle enseignerait le yoga dans une petite favella et s’épanouirait dans une liaison amoureuse avec un jeune de 22 ans prénommé Washington.

S’en prenant gentiment au monde de l’art, Martin Sastre détourne dans Montevideo: The Dark Side of the Pop (2004), le tube Vogue de Madonna (1990), remplaçant la liste des belles actrices chantées par l’Icône du pop («Greta Garbo, and Monroe, Dietrich and DiMaggio»), par une série d’artistes contemporains à grand succès tel Damien Hirst ou Matthew Barney, ridiculisant et dénonçant ainsi le star-système du monde de l’art.

Montant encore d’un cran dans Bolivia 3: Confederation Next, l’artiste, version bande dessinée, s’en prend même physiquement à son grand rival Matthew Barney symbolisé par un monstre aux allures du héros du légendaire Cremaster Cycle 3 (2002) et le transforme, à la fin, dans le beaucoup moins imposant «Barney», le dinosaure rose adoré par les enfants qui font leurs premiers pas …

Partant du constat que celui qui contrôle la fiction maintient le pouvoir, Martin Sastre matérialise ainsi sa propre vision du cours des choses dans une oeuvre originale et efficace.

Traducciòn española : Santiago Borja
English translation : Laura Hunt

Martin Sastre :
The Ibero-American Videoart Awards , 2002. Vidéos. 15 min.
Diana: The Rose Conspiracy, 2005. Vidéo.15 min.
The Martin Sastre Foundation, 2003. Vidéo. 15 min.
The Dark Side of the Pop, 2004. Vidéo. 15 min.
Bolivia 3 : Confederation Next, n.d. Vidéo. 15 min.

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