DESIGN | CRITIQUE

Aujourd’hui plus qu’hier, et moins que demain

PMaëlle Campagnoli
@06 Mai 2009

Jusqu’au 30 mai, l’espace des galeries Lafayette dédié à l’art, à la mode et au design présente des pièces de mobilier et des objets choisis dans la très belle collection de Clémence et Didier Krzentowski. Des figures historiques telles que Branzi, Paulin ou Colombo, se mêlent aux contemporains français et étrangers.

Depuis trente ans, Clémence et Didier Krzentowski collectionnent passionnément des objets et des meubles de designers internationaux, des années 50 à aujourd’hui. Le titre de l’exposition que consacre la Galerie des galeries à leur collection, de prime abord un peu énigmatique — Aujourd’hui plus qu’hier et moins que demain —, met en perspective l’affection et l’appétit jamais assouvi du fondateur de la galerie Kreo pour les designers, leurs créations et le cadre de vie qu’ils composent.

Le visiteur emprunte un passage caverneux à la sortie de l’espace luxe du grand magasin ou entre par l’escalier de la rue Caumartin. Le parti pris scénographique est fort : un texte sobre à l’entrée, puis une allée centrale qui distribue, une terrasse, un bureau, une salle à manger, un double salon, un salon, un autre salon et un petit bureau. Pas de cartels ni de garde-fou, pas d’étiquettes, seulement des meubles et des objets, disposés sur des plate-formes en bois aggloméré brut, qui reconstituent des espaces de vie… et sèment le trouble parfois. Sommes nous dans les allées d’un célèbre magasin de décoration, dans celles du Salon des arts ménagers,  ou toujours dans ce grand temple parisien de la consommation plutôt luxueuse ? L’espace détaxe est à l’étage en dessous, et depuis la zone terrasse, on aperçoit encore au loin un morceau du corner Vuitton.

Le bureau Bakelite de Maarten van Severen (2001), sur lequel est posée une petite lampe agrafe Topo de Joe Colombo (1969) accueille des ouvrages en consultation libre. Et on s’assoirait bien sur le Banc d’eau de David Dubois (2008) ou sur la chaise Easy de Jerszy Seymour (2003) pour lire un moment, après avoir négligemment déposé sa veste sur le porte manteau Hanger de Naoto Fukasawa (2008), simple planche dans laquelle sont plantés de gros clous. Mais la salle est bien gardée. Mieux vaut passer au salon. Poursuivons la traversée, munis du plan que la galerie met à la disposition des visiteurs intrépides.

Et c’est bien là tout l’intérêt et l’ambiguïté de cette exposition. Comment montrer ces objets, ces meubles du quotidien, à propos desquels Didier Krzentowski dit qu’il vit avec, seule « manière » pour lui « de comprendre un objet ou une œuvre ». Comment transmettre son regard ? Comment montrer les choses, certes historiques ou marquantes, dans leur usage, dans leur état d’objet, sans les sacraliser, sans être au musée?

Sur le mode de la conversation. Le dialogue entre les pièces, et avec le visiteur, même s’il est historique (1952-2008), ou fait de références (hommage des frères Bouroullec à madame Perriand avec la bibliothèque Charlotte, 2000), s’engage ailleurs. Il semble plutôt s’instaurer dans le dépareillement des objets, dans leurs états différents, usagés, affaissés, un peu sales, retapissés ou tout juste sortis de l’atelier du fabricant, et dans leur style aussi, radicaux (Szekely) ou plus fantaisistes (Mendini ou Sottsass). Des choses hétéroclites, donc, qui vivent ensemble et qui composent un tout homogène, une espèce de personnalité de l’espace raconté… et du collectionneur. Au salon, les fauteuils F675 de Pierre Paulin (vers 1963), l’air un peu vieux, devisent avec la Rag Chair de Téjo Remy (1991). Dans le bureau, le miroir Y de Pierre Charpin (2006) s’accorde avec les tables de la collection Ollo, dessinées par Alessandro Mendini en 1988.

Alors…La scénographie n’est pas évidente, le dialogue historique entre les objets n’est pas très lisible pour le public. Le visiteur doit parfois tordre le cou pour apercevoir certains objets ou meubles. Peu importe. Clémence et Didier Krzentowski sont des collectionneurs éclairés. Les pièces présentées sont superbes et certaines très rares, premiers exemplaires ou état de la recherche d’un designer, comme le lustre dit Araignée de Pierre Paulin (1965), ou le prototype de l’étagère Alvéoles de François Bauchet  (2008). D’autres portent la trace du temps. La peinture de la bibliothèque Mexique de Charlotte Perriand et Jean Prouvé (1952) est délicatement écaillée, les coussins de la banquette-lit de Pierre Paulin (cc1957) sont légèrement affaissés. Ils ne sont pas d’origine d’ailleurs : ils ont vécu.
Ces objets et ces meubles recomposent un décor familier. Ils sont là, leur usage temporairement suspendu par l’exposition. Et au fond, n’est-ce pas tout ce qui compte ?

 

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