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Au rivage comme un navire

Une qualité de geste. C’est ainsi qu’on amorçait le débat dans le temps, à la fin du 20è siècle. Nul besoin donc d’en faire des tonnes ou même des kilos. L’épure la plus pure. Rien qui dépasse. Un gramme de trop, ce serait un drame.

La technique, la grâce, l’art et la manière. Bref, le style. Tout cela, on le sait, Maroussia l’a. Sa danse est intemporelle, libre, décalée pour ne pas dire anachronique dans un monde de mode. Maroussia est passée par le ballet (l’Opéra) et le moderne (les techniques Graham et Limon), l’Orient (les derviches), la Russie (Fokine) et le Japon (Hideyuki Yano). Le jazz et la java. Et la samba. Elle aussi fait du caractère — le sien, soit dit en passant, est des plus aimables.

Capable du geste tordu, chinois, compliqué, elle préfère le familier, recherche le fluide, le sibyllin. La simplicité de sa danse de va-nu-pieds la rapproche en un sens des postmodernes qui, au tout début au moins, partaient du geste quotidien. Elle se situe dans le courant de la danse dite « libre » (mais la liberté du poète ne résulte-t-elle pas des contraintes qu’il se fixe ?), qui va d’Isadora à Pavlova, dont Maroussia retrouve, à son su ou à insu, les poses et postures hiératiques, les gels de gestes, les tours et détours, en passant par Ruth Saint-Denis, dont la Parisienne a la candeur, le même visage poupin, l’éternel enfantin.

On craignait le pire lorsque l’on a appris qu’en prologue à la nouvelle chorégraphie de Miss Vossen on était condamné à se farcir cinq pièces de musique « contemporaine » en forme de « dédicace », au sens où l’on l’entend dans le rap, au compositeur septuagénaire (mais à l’allure quinqua) Roger Tessier, disciple du messianique Messiaen, qui avait droit à sa fête à l’Auditorium St-Germain — agapes tout ce qu’il y a de spirituelles préparées par Mathieu Ferey et Jean-Louis Vicart.

Mais non ! Les compos, Réminiscence, jouée par Marianne Bertrand, Khalila Hassouna et Romain Pillon ; Comme un aquilon et Concert pour la, du très subtil Philippe Raynaud, interprétés par Pierre Boragno qui avait sorti pour l’occasion son flûtiau géant, aussi encombrant qu’un cor transalpin, ainsi que par l’auteur himself, expert en « bâton de pluie », « bâton de parole » ou bâton de berger chilien ; Huanri de Chengbi An, Automn Song de Daniel Teruggi, morceau qui nous a paru longuet, auquel la bande en play-back enlevait au lieu d’ajouter ; Samsara, avec Ancuza Aprodu et Thierry Miroglio, étaient un bon apéritif, une mise en bouche ou en condition pour apprécier la danse à sa juste valeur.

Roger Tessier a reconnu, mais un peu trop tard, qu’il aurait dû partager les droits d’auteur du morceau de guitare électrique Au rivage avec son interprète Claude Pavy. Celui-ci n’est pas un guitar hero de la trempe de Jeff Beck, Jimmy Page, Eddie Van Halen, David Gilmour, Alvin Lee ou Jimi Hendrix, mais sa ligne est claire. Dommage, au passage, que le morceau ait été donné sur bande magnétique (ou sur fichier numérique !) et non pas « live ». Malgré quelque prétexte à chipotage, quelque redondance entre la chorégraphe et le guitariste, malgré une danse trop à l’unisson du son, du coup un peu suiviste, Maroussi Vossen a prouvé qu’elle avait du chic. Celui de pouvoir danser sur tout. Et de, surtout, danser.

 

— Chorégraphe : Maroussia Vossen
— Interprétation : Maroussia Vossen
— Musique : Roger Tessier
— Guitare : Claude Pavy
— Lumière et régie : Bruno Cœur