Ce sont les sculptures qui, chez Joseph Barbiero, accrochent d’emblée le regard et suscitent l’émotion. Difficile en effet de ne pas les associer aux «Barbus Müller»: ces petits personnages barbus qui, réalisés par un anonyme, ont constitué la première exposition d’art brut organisée par Jean Dubuffet en 1947, à la galerie René Drouin.
A la galerie Christian Berst, derrière les personnages sculptés de Joseph Barbiero, disposés comme d’accueillantes vigies, ce sont les dessins qui attirent. Ces dessins de petit format, au graphite sur carton gris, ne se réduisent en aucun cas à des esquisses préparatoires aux sculptures, comme on pourrait le croire. Cependant, on retrouve dans la sculpture et le dessin la même manière «brute» de Joseph Barbiero, qui dessine généralement sur le recto et le verso de ses cartons, donc sans préoccupation d’exposition. De même, les sculptures sont taillées et gravées sur toutes les faces du bloc de pierre, comme pour développer une sorte de théorie cubiste personnelle.
De même que Joseph Barbiero s’adapte à ses blocs de pierre en en conservant les dimensions et les surfaces irrégulières, il découpe de grossiers morceaux de carton dans d’anciens paquets de biscottes. Pour les sculptures comme pour les dessins, le format du support, et les données matérielles se transforment en ressort créatif.
Une série d’animaux, dont les formes se distordent au gré des formats, constitue un drôle de bestiaire. Des nus couchés, qui n’ont rien d’académique, côtoient des bonshommes à la virilité réjouie. Parfois, hommes et femmes se rencontrent sur de petits dessins que l’on ne se résout pas à qualifier de banalement «érotiques». Ils évoquent plus fondamentalement, à la fois une «pulsion de vie» (Jean-Louis Lanoux) et une certaine dérision. De ces sculptures de pierre noire et de ces petits dessins gris émane une douce gaité, une manière de prendre la vie du bon côté.
L’histoire artistique de Joseph Barbiero est d’abord celle d’une rencontre avec un matériau. Cet Italien, venu s’installer dans le Puy-de-Dôme à l’âge de 22 ans pour fuir la misère, a exercé le métier de maçon avant d’être engagé dans la restauration d’églises et de monuments de la région, pour la plupart en pierre volcanique. C’est avec cette pierre, la lave noire de Volvic, que Joseph Barbiero se lance à l’âge de 64 ans dans la sculpture, et s’initie seul à la taille. Les statues, qu’il surnomme «ses cadavres», s’accumulent et s’alignent sur la terrasse familiale, comme autant de petites divinités domestiques.
C’est ainsi que Joseph Babiero est découvert par l’antiquaire Jean Lelong qui l’expose en 1985. Ses sculptures entrent ensuite dans les collections de L’Aracine (visibles au LaM à Villeneuve-d’Ascq), puis à la Collection de l’Art Brut à Lausanne et à La Fabuloserie à Dicy. L’Å“uvre de Joseph Babiero témoigne, s’il en était besoin, de la part populaire de l’art brut, et de son irréductibilité à l’«art des fous», ou audit «art psychopathologique».
La galerie Christian Berst a organisé une rencontre intitulée «L’homme du commun à l’œuvre», en écho au recueil L’Homme du commun à l’ouvrage de Jean Dubuffet. Avec cette notion d’«homme du commun», qui lui est chère, Dubuffet vise à qualifier tous les acteurs du monde de l’art dont il voudrait, en cette période de l’après-guerre, changer les règles établies.
«À l’homme du commun la timbale», déclare Dubuffet en 1945. Il désigne ainsi «l’homme de la rue» dont il veut faire le destinataire de son travail. Il exprime également son exécration du monde de l’art de son époque: «Je suis passionné d’être un homme du commun du plus bas étage», écrit-il à Jean Paulhan en 1947. En somme, cet «homme du commun» préfigure pour Dubuffet l’idéal de l’artiste, qu’il incarnera peu à peu dans l’artiste brut.
L’homme du commun n’est pas un homme ordinaire. Au contraire. Quand il se met à l’ouvrage, comme Joseph Barbiero, il fait vaciller les stéréotypes de l’art et de l’artiste.