Présentation
Dominique Brebion
Atlantide Caraïbe
Texte de Dominique Brebion
La Caraïbe serait-elle encore et toujours cette emotional federation dont parle Derek Walcott, un territoire en gestation sensible, ou tout simplement, aurait-elle basculé du côté des mythes au même titre que l’Atlantide, cette île fabuleuse, imaginée par Platon et engloutie dans nos mémoires livresques?
Subissant une inexorable dérive des plaques tectoniques aux contours indécis, où se côtoient pans d’océans, îles, rivages, embouchures, fragments continentaux, les archipels s’égrènent et se ressemblent, mais les habitants savent-ils trouver un langage commun, un terrain d’entente?
Les populations rassemblées là , après une terrible table rase, ont dû recréer, sous la contrainte, des centres de vie au gré des contacts et des déplacements. Elles ont aussi essaimé vers de nouvelles destinations continentales de l’ancien monde ou du nouveau. C’est encore sous la contrainte que les îles prises dans leur singularité ont été inscrites dans des ensembles plus vastes dont elles font toujours partie et restent sous influence: espace hispanique, britannique, francophone. Entre elles et le reste de la planète, des déplacements, la diaspora, et d’heures zones de contact, mais toujours dans la marge du monde tel qu’il va.
La Caraïbe des artistes semble sans cesse en quête d’elle-même, car on l’appréhende rarement dans sa globalité et on ne la parcourt pas facilement. Il s’agit essentiellement pour les poètes, les artistes, de produire, de travailler, «d’inventer au sein d’un système mondial dont les investissements culturels majeurs sont pointés dans une autre direction que la leur» (Homi K. Bahbha).
Les îles sont évidemment dans un lointain et fondamental délaissement qui peut devenir une expérience de négation, d’oppression et d’exclusion, par rapport aux pulsions économiques majeures. Elles sont en «zone de transit» (James Clifford) comme dirait James Clifford, en suspens, dans une région ouverte sur le plus vaste monde dont elles préfigurent la créolisation globale, mais en attente de quoi? De quelle destination prochaine?
Itinéraires d’ancrage
Dans l’habitation principale où la présence des derniers occupants demeure encore palpable, les oeuvres intégrées au mobilier évoquent la genèse, les fondements, les sources, l’histoire, et le passé amérindien, la veine africaine, la société esclavagiste, la perte irrémédiable de la filiation ou même une réalité encore plus profonde, les composantes géologiques, climatiques, linguistiques du pays. Les compositions de cet ensemble fondées sur la juxtaposition, la stratification, la superposition soulignent, comme le dit Vargas Llosa, que «Nous n’avons pas une identité, nous les avons toutes».
Les grandes suspensions de Valérie John sont le parfait exemple d’un itinéraire d’ancrage, elles naissent de la traversée, de la route atlantique qui recèle en son fond l’indigo le plus dense. Les portraits de famille sans visage d’Ernest Breleur montrent les oubliés de la scène mondiale, des figures évanescentes. A peine entrevues, elles disparaissent déjà dans le noir profond qui est aussi transparence. Travail qui interroge la mémoire familiale évanouie, distendue par une filiation aléatoire et dramatiquement sans chair et sans os.
Itinéraires incarnés
«Nous vivons le monde avec notre corps. Nous l’éprouvons, notre chair, notre peau, l’influx caché de notre sang sont en corrélation avec ce que nous savons et ce que nous ne savons pas» (Edouard Glissant)
C’est ce que nous signifient les créations de Jean-François Boclé, Petrona Morrison, Anabell Guerrero, Raquel Païewonsky qui font entendre les Voix du monde, disent la violence de l’émigration, la quête de soi, de la réaction douloureuse ou souvent conflictuelle avec l’autre. La vie est d’emblée quelque chose d’incarné, de subjectif et de corporel.
Itinéraires d’envols
Placés dans la friche industrielle de l’ancienne distillerie transformée en Centre d’interprétation, Alex Burke, Julie Bessard, Ernest Breleur et Jean-François Boclé en explorent les espaces dans des mises en scène et en relation.
Comment survivre ou échapper à toutes les violences du monde? C’est l’humaine condition qu’expriment ici ces êtres hybrides, caparaçonnés, ces refuges précaires abandonnés, ces silhouettes emprisonnées… En même temps, ne peut-on y voir une exigence de transcendance?