Présentation
Gita Brys-Schatan, Christian Carez
Ateliers d’artistes
Extraits de l’introduction de Gita Brys-Schatan, «L’espace, la créativité et l’artiste»
«Tout se passe comme si l’espace dans lequel opère l’artiste est porteur de qualités intrinsèques. Or ces qualités proviennent tout autant des caractéristiques du travail qui y est effectué que des particularismes de l’artiste lui-même ainsi que de l’espace choisi. Que l’endroit soit grand ou minuscule, étroit ou des plus vastes, encombré ou d’un vide orientalisant, on devine que les jours passèrent en concentrations laborieuses, rêveries détendues, application ardue, moments lourds d’insatisfaction et temps d’exaltation. La perception s’en aiguise…
Le terme «souvenir» provoque immédiatement dans ce cas précis l’apparition d’un autre terme : celui de romantisme. Alors la signification contenue dans cette dernière notion vient instantanément grever les sensations spontanées que l’on peut ressentir. Dans la mesure où le terme romantisme indique une manière d’être, un état, en dehors de la période historique tout à fait déterminée à laquelle il donne son nom, notre propos pourra s’en trouver concerné. Pour autant que l’artiste et son atelier (ou l’artiste en son atelier) s’insèrent dans le vaste champ sémantique engendré par ces mots si fortement connotés. Enfin la notion même de romantisme devra se réadapter au temps présent, ce qui dans l’actualité artistique de ces dernières années s’avère tout à fait possible. […]
On observe une grande différence entre un atelier d’artiste et un habitat selon l’entendement habituel, divergence créée par le fait que l’atelier est une tanière, une «caverne», un antre, et pourrait provenir d’un certain instinct de territorialité sauvage (au double sens de primordial et primitif). Il ne présente pas la polyvalence de l’utilitaire et de la décoration, socialement typiques de l’ensemble habitable usuel. La fonction est autre ferait remarquer l’architecte de service… […]
On l’a suffisamment répété, si l’œuvre lui paraissait totalement aboutie, l’artiste arrêterait son effort de création, le désir étant comblé. Mais le désir est moteur par définition, il conduit à sa propre réapparition. L’élan a été donné, et poussé par une sorte d’insatisfaction ontologique, l’artiste ne voit plus que ce qui pourrait être mieux développéIl continue donc à chercher, à créer. Nous pouvons dès lors supposer qu’autour de cette activité spécifique, se constituera un lieu tout aussi singulier, généré en partie par la complexité de l’enjeu.
Une polysémie s’institue à l’intérieur de cet espace, qui remplace la polyvalence totalitaire de la maison. En d’autres termes, la signification sera multiple dans une seule donnée spatiale — l’atelier de l’artiste — tandis qu’une valeur fonctionnelle est le critère de chacun des éléments de l’habitat. Même si l’atelier n’est qu’un coin de ladite maison. Il est des seuils dont le passage relève d’une durée et d’un temps qui induisent à un monde autre. Cependant la banalisation et la normalisation envahissant notre vie entrent également en ces lieux. Elles peuvent être apparemment acceptées, voire parfois recherchées par les occupants comme étant autant de signes visibles d’intégration dans une société donnée. Il ne faut pas trop s’y fier, une enquête attentive fera presque toujours ressortir une spécificité par-delà l’apparence. […]
C’est en son atelier que le peintre, le sculpteur, a choisi d’être enfermé en une zone de semi-liberté : c’est aussi le lieu où il va se confronter avec la possibilité de créer. Pourquoi dès lors parler de semi-liberté ? Il se fait que la clôture lui pèse, justement en ce par quoi elle le contraint…
Elle le contraint non seulement à s’abstraire des espaces extérieurs dont il se défend en quelque sorte dès qu’il s’empare de ses outils, mais elle le presse encore parce qu’elle est cette zone spécifique qui stipule qu’il est là pour travailler, inventer, mettre au jour de nouvelles formes. Nous savons qu’aucun enfantement ne se produit dans la facilité, et sommes dès lors aptes à comprendre l’espèce de coercition sous-jacente mais prégnante, que peut ressentir l’artiste en son atelier. […]
Physiquement circonscrit, l’atelier de l’artiste contient un magma de sens dans lequel nous nous efforcerons de pénétrer sans toutefois procéder par effraction. Remarquons que dans le passé l’atelier de l’artiste faisait partie intégrante du prestige de son occupant. Durant la Renaissance, la période romantique, ou le XIXe siècle, une aura entourait l’artiste célèbre, maître ou «maudit», qui prit souvent précisément naissance dans les ateliers. Il suffit de se rappeler le nombre de tableaux consacrés à la description de ce lieu, peints soit par l’artiste occupant lui-même, soit par certains de ses amis, pour se remémorer l’importance accordée à l’atelier en tant que tel.
Une mythologie, sorte de géographie imaginaire de la créativité, en demeurera, battue en brèche par l’implacable pragmatisme de notre époque certes, mais non disparue pour autant. Nous n’avons pas mélangé l’interview de l’artiste aux réflexions émanant spécifiquement de ce que nous avons déjà dénommé une exploration de l’atelier de l’artiste : il s’agit d’un autre propos.»
Gita Brys-Schatan est docteur en Histoire de l’art et fondatrice de l’Iselp, Institut supérieur pour l’étude du langage plastique. Elle a publié de nombreux écrits sur l’art.
Christian Carez, photographe, est né à Bruxelles en 1938. Il a mené des travaux tant fictionnels (Les lieux désertés, Mishmash) que documentaires (Le jour se rêve).