Roger Ballen
Asylum of the birds
Implanté en Afrique du Sud depuis plus de trente ans, ce photographe d’origine américaine s’est fait connaître en dressant le portrait vériste et pitoyable du monde rural sous l’Apartheid. Dès les années 1990, Roger Ballen dépasse le simple statut de photographe documentaire pour se forger un style unique et dérangeant. Il photographie les hommes en les mettant en scène dans leur environnement quotidien.
Parallèlement il met en place un vocabulaire esthétique où foisonnent les signes graphiques, les éléments formels qui le relient à l’histoire de l’art et auxquels il donne autant d’importance qu’aux portraits proprement dits. Ses images au fil du temps offrent une lecture de plus en plus complexe, par l’accumulation des objets, des graffitis, la présence grandissante des animaux. Le regard se concentre sur le cadrage resserré du format carré et erre à la recherche d’une explication. Roger Ballen invente un langage et jette le trouble. En passionné de psychologie, il semble mettre en image notre subconscient. «Mes meilleures photographies sont celles que je ne comprends pas». L’homme marche à l’instinct, ne planifie rien.
En 2008, il fait connaissance avec un univers à sa mesure, un endroit où s’entassent à l’écart de la société, des miséreux, des criminels et des malades mentaux, dans une infernale promiscuité avec des animaux de toutes sortes. Un bouge sordide et crasseux, aux murs tagués, un lieu irréel et malsain qui va servir de nouveau décor à l’univers esthétique détonnant du photographe.
Asylum of the birds (l’asile des oiseaux) est un refuge repoussant où règnent le chaos et la liberté, un point de rencontre entre vie et mort, entre humanité et animalité. Cette maison singulière est peuplée d’individus et d’oiseaux en liberté, où courent également les rats, les lapins et les canards. Les murs sont recouverts de signes et de dessins. Un lieu extraordinaire, idéal pour nourrir l’imagination singulière de Roger Ballen.
Pendant cinq années, Roger Ballen agence les objets de rebut, carcasses, masques et figurines, compose avec les animaux en liberté. L’homme est présent mais souvent de façon fragmentaire: ici une tête hurlante, là cinq mains tendues…ici un corps sans tête, là un homme en cage, des figures masquées… Tous les symptômes de la folie sont rassemblés dans des images qui pourraient s’apparenter à des cauchemars. Les oiseaux omniprésents s’ébattent librement au risque de devenir les victimes de cette insanité. Symbole lumineux de liberté et de paix, les colombes se confrontent à la noirceur de l’humanité, la beauté à la laideur. La relation qui se profile ici entre l’homme et l’animal est bien celle de l’adversité.
Roger Ballen affirme explorer la face obscure de la psyché, les différentes couches du subconscient qu’il superpose dans ses photographies, à la manière de «strates géologiques». Son travail témoigne d’une vision du monde toute en ambigüité, où le noir n’est pas forcément synonyme de mal ni le blanc, de bien. Pour le photographe, «la vie vient de l’ombre (…) elle provient du néant».