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Assembly Instructions: The Pledge

PAleksandra Smilek
@04 Oct 2011

A la manière d’un lierre grimpant, Alexandre Singh a couvert les murs de la galerie de collages encadrés, et reliés par des droites en pointillés. S'instaurent ainsi des liens entre les éléments et un ordre de lecture. L’exposition prend la forme de trois arborescences consacrées à trois interlocuteurs: Marc-Olivier Whaler, Leah Kelly et Alfredo Arias

A la manière d’un lierre grimpant, Alexandre Singh a couvert les murs de la galerie de cadres de ses collages photocopiés, puis les reliés à l’aide de droites de pointillés. Une méthode qui instaure des liens entres les différents collages et suggère un ordre de lecture. L’exposition forme ainsi une sorte d’arborescence qui se divise en trois parties, chacune d’elles se référant à un entretien mené par l’artiste avec une personnalité.

La première de ces trois ramifications correspond à une discussion avec Marc-Olivier Whaler, directeur du Palais de Tokyo. La seconde s’appuie sur un dialogue avec Leah Kelly, une neurobiologiste travaillant à l’institut Rockefeller. Enfin, la troisième est dédiée à Alfredo Arias, dramaturge, comédien et metteur en scène. Ces entretiens qui constituent la toile de fond de l’exposition, paraissent dans le numéro 14 du magazine Palais — édité par le Palais de Tokyo, et consacré au thème de «L’illusion».

Assembly Instructions: The Pledge
s’inscrit dans une série de travaux entamés par Alexandre Singh en 2008 sur les questions de la modélisation spatiale de la pensée.
Lors d’une conférence, Alexandre Singh évoqua le personnage de Matteo Ricci qui, au XVIe siècle, s’employait à démontrer la supériorité de la pensée européenne sur la pensée asiatique à partir de la méthode mnémotechnique d’apprentissage par les lieux. Il raconta aussi l’un de ses rêves où le fondateur d’Ikea expliquait que l’agencement des espaces d’exposition de ses magasins correspondait à une classification du savoir humain, et que le déplacement d’un objet produirait une altération de la réalité.

C’est cette sorte de pensée en kit, qui serait démontable et modulable à souhait, qu’exprime le titre de la série «Assembly Instructions».
Alexandre Singh est également l’auteur d’une fiction sur le fondateur de la marque Adidas, qui nourrira certains travaux postérieurs aux «Assembly Instructions».
Les récits et les discours donnent pour base à ses travaux une pensée articulée logiquement qu’il qualifie lui-même de «pensée tangente» selon le mécanisme suivant: une «pensée linéaire/causalité logique» s’altèrerait en «pensée tangente/causalité logique».
Ainsi The Pledge présenté dans la galerie s’inscrit dans cette méthodologie avec la particularité de prendre comme point de départ des entretiens parus dans le magazine Palais. Loin de proposer une illustration de ces dialogues, Alexandre Singh recrée l’ordre du discours, déconstruit la parole et dit tente de retrouver cette pensée propre aux malades mentaux et aux rêveurs.
Ses procédés sont variés, il garde certains objets auxquels se réfèrent ses interlocuteurs puis, coupe, introduit des ellipses et intègre des éléments nouveaux par assimilation de sens.

En incrustant des photos de l’arche du Palais de Tokyo dans la suite consacrée à Marc-Olivier Wahler, Alexandre Singh interroge la relation entre l’homme et l’institution. Puis, l’entretien ayant porté sur l’illusion, il rend visible l’écart entre ce que chacun voit et ce qui est se passe véritablement sous ses yeux.
A cet effet, sont présentés trois collages des Tournesols de Vang Gogh. Le premier reproduit le tableau; dans le second les fleurs des tournesols ont été découpées; dans Le troisième collage les fleurs, préalablement découpées, ont été replacées à des endroits différents de la version originale.

Ces manipulations visent à mettre à l’épreuve notre appréhension du réel, et notre la faculté de compléter les images manquantes.
En outre, plusieurs exemplaires d’un autre collage, un bâtiment est tantôt apparent, tantôt noirci, révélant notre faculté de remplir les manques d’informations par l’interprétation.
La série s’achève par un collage du système digestif canin dont les noms des organes ont été remplacés par les noms des expositions présentées au Palais de Tokyo — c’est là notre faculté de digérer ce que l’on expérimente au musée qui est abordée.

La série consacrée à la neurobiologiste Leah Kelly repose sur une imagerie d’Adam et Eve jouant au tennis, en tant qu’allégorie de la conscience dans laquelle les informations contenues dans les neurones s’échangeraient à la manière d’un jeu de balle.
Ici, un petit comité d’hommes scrute une balle de tennis agrandie sous l’action du verre dans lequel elle se situe. Là, le cerveau est mis en vitrine radicalisant l’approche empiriste du scientifique. Ailleurs, est recréé un test d’attention conçu dans les années 90 par Daniel Simons et Christopher Chabris par comptage du nombre de passes lors d’un match basket.

Le collage sert pour l’essentiel à la sélection, au découpage et aux réarrangements des éléments du discours. Dans les Å“uvres la voix des interlocuteurs se perd. On ne sait pas, de l’artiste, de l’interviewé ou de l’œuvre, qui parle. The Pledge devient ainsi une Å“uvre polyphonique aux première, deuxième et troisième personnes du singulier et du pluriel.
Alexandre Singh bouleverse la place et l’ordre du discours: en partant du discours, et en mettant en Å“uvre un langage non verbal.

Å’uvres
— Alexandre Singh, Assembly Instructions: The Pledge, Marc-Olivier Wahler, 2011. 43 impressions jet d’encre noir et blanc, ligne de pointillés au crayon. Dimensions variables.
— Alexandre Singh, Assembly Instructions: The Pledge Leah Kelly, 2011. 37 impressions jet d’encre noir et blanc, ligne de pointillés au crayon. Dimensions variables.
— Alexandre Singh, Assembly Instructions: The Pledge Alfredo Arias, 2011. 47 Impressions jet d’encre noir et blanc, ligne de pointillés au crayon. Dimensions variables.

Publications
— Alexander Singh, The Marque Of The Third Stripe, ed. Hardback; 2008.
— Palais/ The Pledge, Alexandre Singh, n° 14, sept. 2011, ed. Les presses du réel

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