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AsfixiA

Partant des clichés qui filtrèrent des camps d’Abou Ghraib en 2003 et qui choquèrent autant par leur violence que par le caractère inédit des tortures rendues visibles, Guillaume Marie a travaillé sur la corde raide de l’irreprésentable. AsfixiA s’ouvre donc sur la voix de Marlon Brando, Colonel Kurtz d’Apocalypse Now, comme si il fallait d’abord en passer par l’énonciation du sujet avant toute mise en forme: l’horreur.

Dès lors le chorégraphe convoque tous les registres de l’excès pour peu à peu affiner l’image, dégrossir le propos, travailler à épurer la forme et, ce faisant, aiguiser notre regard pour le rendre incisif, alors seulement apte à percevoir au-delà comme à l’intérieur même de ce qui se figure dans ces représentations.
Cela commence par une absence remarquable: il n’y a pas de corps mais cet extrait sonore qui résonne dans un décor parfaitement cinématographique. Une scène de crime dont on a retiré le(s) cadavre(s), et sur laquelle vient se greffer, comme autant de prolongements, l’entrée des trois interprètes.

Evoluant au ralenti, l’effet de distorsion de leurs mouvements se trouve amplifié par une bande-son de film d’horreur, oppressante. Et de cette adaptation vivante d’une esthétique filmique jaillit immédiatement un profond malaise. Le maquillage tuméfiant les lèvres, escamotant les sourcils, ajouté aux uniformes et aux postures militaires, contrastent avec l’exclusive féminité des corps, immédiatement sexués, presque instantanément sexuels.

Engoncées dans leurs toiles de camouflages, leurs lunettes ray-ban, et leurs gestes «virils», les interprètes se trouvent paradoxalement réduites à leur genre, comme si cette présence féminine était inappropriée, factice, du même ordre que les trucages tout à la fois grossiers et habiles qui composent cette esthétique gore.
Quelque chose cloche, et, réduite à son genre, la femme devient aussitôt fétiche, objet sexuel, adjuvant ou instrument d’un usage politique du sexe. Ici il s’agira de torture.

Mettre en scène des femmes torturant d’invisibles victimes, dont elles endossent le rôle tour à tour, se prêtant à des sévices où se mêlent violence physique et lascivité, érotisme, excitation, permet ce mouvement de pensée: rendre patent ce qui dans l’univers masculin correspondant est tu. La part de violence et de domination au sein des relations sexuelles, autant que la part sexuelle au sein des rapports de violence et de domination. La force de coercition militaire est ici réduite à son fétiche le plus anecdotique, mais également le plus révélant.

Ce n’est qu’au bout d’une heure d’affrontements de corps, de mises à nue des maltraitances comme des gestes de victoires — ces signes éloquents qui évoquent immédiatement le pouvoir —, qu’affleureront lentement la série de reprises à l’identique des clichés d’Abou Ghraib. L’introduction de l’appareil photo aura été préparée comme s’il s’agissait d’une arme. Lente reconstitution, jeu de cluedo (sur le lino, avec la chaise, la Maman ou la Putain ?) qui pourtant continuera d’absenter le principal élément iconographique qui semble d’ailleurs donner son titre à la pièce: ces cagoules qui évoquent celles des pénitents catholiques ou celles des membres du Klu Klux Klan, et qui ne parviennent pas à étouffer les cris que l’on reconstitue mentalement.

AsfixiA s’achève sur un climax, la montée en puissance d’un orgasme féminin qu’on imagine éclater dans le noir. Gael Depaw se masturbe dans le sang tandis qu’elle nous dévisage, déesse de la mort nous invitant à regarder tout cela en face, si on en a la force plutôt que l’envie.

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