ART | CRITIQUE

As I Run and Run, Happiness Comes Closer

PCéline Piettre
@20 Jan 2009

Acidulé, de tendance kitsch, intégrant des outils de conception numérique, l’univers pictural de Fiona Rae décontenance par son accointance avec notre environnement visuel, pour le pire et le meilleur.

L’artiste Fiona Rae ne manque pas de reconnaissance internationale. Le Turner Prize en poche à moins de trente ans, cette «Young British Artist» ne cessera dès lors de graver les échelons de la renommée jusqu’à rejoindre les rangs très solennels de la Royal Academy of Arts de Londres, tout en restant fidèle à son médium de prédilection — longtemps délaissé par ses contemporains — la peinture.

As I Run and Run, Happiness Comes Closer. Le titre de l’exposition verbalise une caractéristique constitutive de l’œuvre de Fiona Rae : le mouvement. Parfaitement lisse ou d’aspect cotonneux comme la peau d’une fleur ou d’un animal, grumeleuse à force d’être saturée de matière, victime de giclures et de coulures, la surface picturale, mue par une force intrinsèque, devient le jeu de trajectoires et de flux, pointillés ou rubans.

Nés de l’expression spontanée de l’artiste ou programmés sur ordinateur — depuis 2000, Fiona Rae utilise des logiciels informatiques de traitement de l’image —, ces déplacements condamnent la toile à une géographie instable. Le châssis lui aussi est mobile, non pas assujetti à une orientation précise mais, comme dans I’m a Moody Girl, travaillé à la fois dans le sens vertical et horizontal, si bien que la peinture y dégouline dans la largeur du tableau, en totale opposition aux lois de la physique.

Vive, fortement contrastée — le noir et le gris tranchent avec les roses et les turquoises — la palette se surajoute au dynamisme structurel. Autant de feux d’artifice de couleurs, boucles épanouies en serpentins ou à peine écloses, bouquets d’étoiles qui débordent d’une énergie explosive, maniaque, à la frontière du pathologique. On a la sensation d’une jubilation stérile, d’un bonheur factice, comme si une telle débauche comblait un vide : affectif, sémantique, idéologique ?

Ici, la profusion de motifs et de couleurs conduit à une sorte d’abstraction documentaire, synthèse d’une culture visuelle contemporaine globalisée et saturée de signes. La touche résolument expressionniste devient le support de collages enfantins, représentants de l’univers kitsch et adolescent des mangas et du style Kawai (mignon), largement importé en occident — notons à ce propos que l’artiste, grande voyageuse, est née à Hong-Kong. Parfait exemple de cet amalgame, Be Cautious in Thunderstrom est traversé par un rail multicolore tout droit sorti de Photoshop, dont la trajectoire définie au préalable sur ordinateur signe l’avènement d’une standardisation du geste du peintre. L’intime et le normalisé se confondent.

Quel drôle d’effet de voir ainsi mise en boite, enfermée dans les limites traditionnelles du cadre, accrochée sur des cimaises d’un blanc parfait, cette prolifération des images, dont il vaut mieux se tenir à distance pour ne pas succomber à la fascination décorative et iconique. Le travail de Fiona Rae est à regarder avec le recul de ceux qui tentent de se protéger de la déferlante du visible et d’une mondialisation perverse traçant en pointillés nos identités, comme pour le motif central de I Touched a Tiny Nature qui n’attend plus que d’être colorié.

Fiona Rae
— Because please don’t weep, 2008. Huile et acrylique sur toile.183 x 150 cm
— Be cautious in thunderstorm, 2008. Huile, acrylique et gouache sur toile. 152,5 x 127 cm
— I touched a tiny nature, 2008. Huile, acrylique et gouache sur toile. 71,5 x 61 cm
— As I run and run, happiness comes closer, 2008. Huile et acrylique sur toile. 152,5 x 127 cm
— Please don’t stay here, 2008. Huile, acrylique et gouache sur toile. 152,5 x 127 cm
— I’m going to my happy place, 2008. Huile sur toile. 152,5 x 127 cm
— The Celestial City and the River of Bliss, 2008. Huile, acrylique, gouache, pelouse artificielle et neige artificielle sur toile. 231 x 190,5 cm
— Travel of the love story, 2008. Huile, acrylique et gouache sur toile. 76,5 x 66 cm
— It’s like a dream being with you like this, 2008. Huile, acrylique et gouache sur toile. 117 x 96,5 cm
— I am a moody girl, 2008. Huile et acrylique sur toile. 183 x 150 cm
— I was lucky to see you, 2008. Huile, acrylique et gouache sur toile. 71,5 x 61 cm

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