Le rock est mort, vive le rock! L’épitaphe fleurit déjà depuis quelques années, à la faveur du revival des années 80 et du retour en gloire de quelques stars vieillissantes. Hedi Slimane pourrait chantonner le même refrain, suivre une ligne approximative tirée depuis Joe Strummer et accrochée aujourd’hui sur les épaules de Pete Doherty, ex-égérie des Libertines, devenu le leader charismatique des Babyshambles et d’une génération d’ados en mal de comètes.
Slimane pourrait donc suivre cette voie toute tracée que l’histoire du rock nous dicte, lui-même étant un inconditionnel des Clash, de Bowie puis de Beck, des White Stripes et du fameux Doherty. Mais il n’en est rien. Ses photographies et installations évitent la liturgie des icônes. Elles préfèrent se pencher sur un langage et dresser ainsi une typologie en image de l’esprit rock.
Dès l’entrée, il nous installe dans la fosse des concerts rock en montrant une séquence de photographies imprimées sur de grands voiles de gaze couvrant la quasi-totalité de la première salle. Sur ces clichés noir et blanc, Slimane montre un public en liesse à la fois fasciné par ce qui est donné à voir et totalement détaché du contexte puisque aucun élément visible n’appelle à la présence de musiciens sur scène.
L’artiste porte son attention sur le public, la véritable raison d’être de cette culture qui perdure. Les gazes sont suffisamment transparentes pour laisser filer le regard dans la profondeur du champ et dans la succession des images. Slimane nous permet une vision au plus juste en installant une déambulation entre chaque panneau, comme une promenade dans un livre ouvert.
La filiation avec le livre n’est pas complètement innocente. Sa bibliographie s’étoffe déjà de quelques ouvrages illustrant et démontant la mécanique de la mythologie rock, ses lieux, ses têtes d’affiche, son public encore, ses instruments (l’incontournable guitare électrique), ses objets (les enceintes, les spots, les fils de branchement), ce que le montage photographique du show-room nous livre brutalement de front, en accéléré.
Slimane noctambule à Paris. Noctambule à Berlin surtout, la ville où l’imagerie rock trouve sa plus belle expression, où l’effervescence politique et culturelle de la cité incarne l’engagement et le non-conformisme historique de la musique rock. Le micro, porte-voix d’un artiste et plus symboliquement de toute une génération, trouve chez Slimane une place prépondérante. Berlin, ville de tous les possibles inspire largement l’artiste. Il en a fait un livre, il en fait ici une exposition.
La dernière salle fait justement résonner cet esprit avec le mythique romantisme allemand, à travers une installation figurant le lien entre la passion rock et la statuaire du XIXe. Une composition très rigide (la succession de panneaux noirs qui aboutissent à la vision d’un gisant), à l’image de cette exposition, qui arrive malgré tout à insuffler cette transcendance typiquement rock, cet abandon à la fois romantique et totalement désenchanté.
Il y a quelques semaines, Alexandre Périgot se demandait ce qu’il restait du rock au pied de sa reconstitution de Graceland, la villa d’Elvis, installée dans le parc de la Villette.
Hedi Slimane semble ici lui répondre : il en reste un sanctuaire c’est vrai. Mais celui-ci est habité par des objets et surtout par des vivants, acteurs anonymes, déployant une énergie probablement éternelle.
Hedi Slimane
— Fragmentation , 2005.
— Portrait of a Defeated Band, 2005. Micros, verre fumé, cable. Dimensions variables.
— As Tears Go By, 2005. Structure métallique, 5 panneaux impression jet d’encre fixé par UV. 350 x 432 x 280 cm.
— Rack 1″, 2005. Structure métallique, miroir gravé. 48,5 x 13 x 14 cm.