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artpress n°342

Le numéro de février 2008 d’artpress évoque, entre autres, l’exposition d’Eija-Liisa Ahtila au Jeu de Paume, le 104, Bruno Peinado ou encore l’art contemporain en Israël.

Information

  • @2008
  • 2—
  • \6,40€
  • E98
  • Zoui
  • 4Français / Anglais
  • }22 L - 28,5 H

Présentation
Directrice de la rédaction : Catherine Millet
artpress n°342

«L’Enfer pour tous», éditorial de Catherine Millet

«L’exposition que la Bibliothèque nationale de France consacre à l’Enfer, « Eros au secret » (jusqu’au 2 mars) est remarquable à plus d’un titre. On y découvre des trésors, manuscrits, éditions rares et gravures, des plus anciens aux plus modernes, le long d’un parcours à la fois didactique et ludique ; on y apprend l’histoire-même de cet Enfer, création relativement récente du puritain 19e siècle, supprimé dans l’après-68, puis rétabli non en tant que zone interdite mais catégorie nécessaire, témoignant de la transformation du regard porté sur ces œuvres, et accessible aux chercheurs ; enfin, que la BnF consacre une exposition à cet Enfer est un fait qui marque symboliquement l’évolution profonde des mentalités dans notre société.

Hélas, un reste de pusillanimité altère quelque peu cet acte. On a cru bon d’interdire l’exposition aux moins de seize ans. Interdiction qui n’a pas de sens. Quel adolescent de quinze ans n’a pas déjà eu accès, via Internet ou même de banals magazines, à des représentations explicites de l’acte sexuel ? De plus, au regard de la loi, seule existe l’interdiction aux moins de dix-huit ans, ce qui signifie que n’importe quel grincheux pourrait porter plainte contre la BnF sous prétexte que son rejeton de dix-sept ans et demi s’y serait égaré. Que la BnF prenne le soin d’avertir son public, soit, mais fallait-il en passer par cette interdiction absurde ? La justification annexe, avancée par les commissaires de l’exposition dans le petit journal de la BnF, à savoir que l’interdiction attisera la curiosité du public qui, de ce fait, viendra en plus grand nombre, nous paraît du pur jésuitisme ! Pour notre part, nous pensons qu’un simple avertissement à l’entrée de l’exposition (comme on en voit un dans l’exposition Courbet au Grand Palais, à l’entrée de la salle où est accroché L’Origine du monde) suffisait.

Envisageons raisonnablement la situation. Depuis de nombreuses années, la censure d’État à l’encontre d’œuvres à caractère sexuel ne s’est plus exercée. L’État reflète, en cela, la mentalité de la plus grande partie de la population. Seule, une petite minorité d’associations, particulièrement rétrogrades mais très bruyantes, dépose des plaintes, réclame des interdictions. C’est d’une de ces plaintes qu’ont été victimes les responsables de l’exposition « Présumés innocents » à Bordeaux. Dans certains cas, les associations ont été déboutées. Dans la mesure où les artistes s’expriment désormais librement, et que des conservateurs de musée, comme une large partie du public, reconnaît cette liberté, n’est-ce pas le rôle de nos institutions que de protéger leurs représentants, et les artistes qu’ils défendent, contre les appels à la censure (ce qui a précisément manqué aux commissaires de l’exposition de Bordeaux) ?

Nous en appelons solennellement à nos instances culturelles : Mesdames les directrices, Messieurs les directeurs de musées, de bibliothèques publiques d’un État démocratique, ne vous soumettez pas, par avance, à la pression de quelques fossiles, plus desséchés que le plus ancien des parchemins conservés à la BnF !»