Sylvia Bossu, Belkacem Boudjellouli, Marcel Broodthaers, General Idea, Douglas Gordon, Rikrit Tiravanija, Guillaume Le Moine, Nedko Solakov
Article 19
Est-il révolu de parler de censure dans nos sociétés occidentales, supposées libres et ouvertes ?
Dans ce vaste espace de création qu’est l’art contemporain, ouvert à des pratiques multiples, le cinéma tient une place importante.
Cinéma Liberté/Bar Lounge est le fruit d’une collaboration entre Douglas Gordon et Rikrit Tiravanija, précurseurs d’un art médiateur de sociabilités.
Cette installation, marquée du sceau de la convivialité, propose un bar et une salle de projection cinématographique.
Le bar anime la salle d’exposition et invite au dialogue. Il est un lieu d’échange que le spectateur peut s’approprier.
Tous les films projetés ont le point commun d’avoir été censurés dans l’histoire du cinéma français.
Cette oeuvre engage une réflexion critique quant au danger présumé des films montrés. Pourquoi ces projections ont-elles été interdites, cachés au public ?
Le spectateur ne doit-il pas être son propre arbitre ? Faut-il s’en remettre aux décisions du pouvoir, de l’industrie culturelle ? L’image peut-elle être simplement nuisible ?
De dommage, il est aussi question dans l’oeuvre de Sylvia Bossu. La mangeuse d’images est une installation cinématographique projetant des films Super 8, familiaux et personnels.
Les images projetées puis broyées ne seront vues qu’une seule et dernière fois, telle une écriture tragique, désastreuse, tel un sacrifice.
Invitation à des rencontres ambiguës : voyage vers la mort du souvenir ou ascèse libératrice, l’oeuvre de Bossu pose avec force la question de la perte : affective, physique et symbolique.
Article 19 questionne les interdits et les conformités véhiculés par la culture occidentale. Culture qui bien souvent, se vide de tout contenu, se veut lisse et politiquement correcte, ne laissant aucune place aux excès, à ce qui est hors norme et qui de ce fait, empiète sur nos propres espaces de liberté.
Dès qu’il y a censure, la liberté cesse d’être un droit pour n’être qu’un sursis.
Aussi faut-il chercher derrière les formatages, les stéréotypes et les préjugés, comme nous le suggèrent le travail de Guillaume Le Moine ou encore celui de Belkacem Boudjellouli.
Ce dernier s’alimente du monde qui l’entoure. Les gens de la rue sont traités de manières héroïques. Effet d’humour, d’étonnement, par son trait silencieux, Boudjellouli fait une pause et rend présent ce qui habituellement reste dans l’ombre.
Aussi faut-il regarder au-delà des discours vides et des images creuses, derrière les masques et les illusions. La perversion peut-être là où le spectateur ne l’attend pas. Comme dans cette séduisante oeuvre de General Idea, qui représente un jeune homme buvant du petit lait. L’innocence cache autre chose…
Interroger, déplacer, renverser les images et les normes, pour encourager la critique et la libre pensée, questionner les limites de nos propres libertés. Comme dans le film Défense de Fumer du subversif Marcel Broodthaers où le seul geste donné à voir est celui de la désobéissance.
Déjouer les dispositifs dans lesquels nous sommes pris, pourrait être un but.
Peut-être est-ce donc la singularité de chacun, artiste ou spectateur, que veut questionner l’exposition Article 19. Cette singularité qui pousse l’homme à trouver son propre chemin, avec ses propres moyens, même les plus absurdes à l’instar du Minded-man de Nedko Solakov.
Tel est peut-être en fin de compte l’enjeu premier de cette exposition.