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Art vivant, contemporain ou officiel…

PAndré Rouillé

En ces temps de confusion des valeurs, il n’est pas toujours bien vu de souligner des différences, ou de tracer des territoires, aussi souples et poreux soient-ils. En particulier dans le domaine de l’art où la notion d’«artiste contemporain» est ouverte à tous les errements définitoires, tout comme celle, conjointe, d’«art contemporain» qui se dilue à mesure que s’accroissent les performances du marché international de l’art.
Mais n’en déplaise à certains, l’«art contemporain» ne se confond pas avec un espace illimité et indifférencié de pratiques, d’acteurs et d’œuvres unis par ce seul trait, aussi ténu que distendu, de s’inscrire dans le présent

. Un artiste n’est pas contemporain du seul fait d’être vivant et de travailler aujourd’hui. Il n’est contemporain que dans la mesure où son œuvre résonne des pulsations du monde, où elle traduit avec les moyens de l’art les forces qui agitent le monde et orientent ses devenirs. L’artiste contemporain est donc celui dont l’œuvre capte certaines des forces, des vitesses, des matières, et des intensités qui caractérisent les modes de faire, de penser et de ressentir de son époque. Ce qui oblige à inventer des formes, des matériaux et des procédures plastiques inouï;s.

Voilà pourquoi les artistes d’aujourd’hui, aussi talentueux soient-ils, ne sont pas tous contemporains. Les artistes-vedettes (ou people) du marché international de l’art ne sont pas eux-mêmes nécessairement contemporains, ou ne le sont plus. Car la contemporanéité d’un artiste n’est pas éternelle, ni mesurable à ses succès commerciaux, institutionnels ou mondains, mais à la puissance avec laquelle son œuvre exprime esthétiquement les grands traits du monde extra-esthétique.
Si les œuvres contemporaines sont évidemment de plus ou moins bonne qualité, l’art contemporain n’est pas «nul» en soi, comme le prétendent de façon populiste Baudrillard et ses émules. Autant les œuvres contemporaines sont souvent déroutantes, troublantes ou énigmatiques, autant la nullité, pour ces œuvres, serait de totalement manquer leur époque.

Comme cela était prévisible, l’éditorial de la semaine dernière, «Phobie ordinaire de l’art contemporain», a suscité une série de réactions selon lesquelles l’«art contemporain» ne serait rien d’autre qu’un «art officiel», une petite partie de la création érigée en norme esthétique par «les galeries et les critiques autoproclamés de la branchitude, exclusivement sélectionné par les Drac, les Frac, la Dap, le Fnac et autres merveilles étatiques ou régionales» (voir le Forum de paris-art.com).

Ces propos des tenants de l’«art vivant» (national) sont, dans leur excès même, provoqués par les réels dysfonctionnements, l’évident déficit démocratique, le clientélisme endémique et le carriérisme — sans parler des incompétences — qui gangrènent les institutions culturelles. Il n’en reste pas moins que ces bien compréhensibles réactions, tendent à minimiser le rôle majeur que «les merveilles étatiques ou régionales» ont joué et jouent souvent encore dans la découverte, la promotion et la compréhension des œuvres contemporaines qui, quoi qu’en disent les détracteurs, requièrent un savoir-voir spécifique pour comprendre, ou plutôt éprouver et saisir, ce qu’elles expriment.

La dénonciation de la «branchitude» et de l’establishment repose implicitement sur la croyance en l’existence d’un complot ourdi par une petite minorité du monde de l’art contre la majorité des artistes, en faveur d’un très contestable «art officiel» contre la (supposée) légitimité de l’«art vivant» à incarner l’«art contemporain».
Cette rancœur, ces frustrations et ce sentiment d’être trahis et incompris qu’expriment de nombreux artistes à l’encontre de l’establishment artistique redoublent l’existence, bien réelle celle-là, d’une fracture esthétique entre l’«art vivant» que pratiquent ces artistes (nationaux) et l’«art officiel» défendu par l’establishment.
Sans minimiser les carences de l’establishment, il faut admettre que ses acteurs sont en contact direct avec la scène internationale de l’art, et très au fait des grands mouvements de l’«art mondialisé» dans lequel s’inscrit précisément l’«art contemporain».
Si, en effet, l’art n’est contemporain qu’à la mesure de ses capacités à résonner esthétiquement avec le monde, il ne peut être aujourd’hui que mondialisé. Au sens où son horizon esthétique et ses visées sont devenus planétaires, et non au sens libéral — économique et non esthétique — du terme, parce qu’en art la contemporanéité est esthétique et non marchande.

Indissociablement historique, sociale et esthétique, la contemporanéité est, en art, aussi géographique (occidentale) et spatiale (mondiale). Ce qui est honni sous le vocable d’«art officiel», dont les Frac seraient les repères à abattre, n’est en fait que cet «art contemporain» international qui pénètre sur le marché et le territoire nationaux par tous les canaux — privés, publics et institutionnels — connectés à la scène artistique et à ses pôles principaux que sont désormais les foires et biennales de la planète.

Au-delà des petits et grands intérêts et privilèges, la théorie du complot est erronée. L’establishment artistique est certainement plus médiocre que comploteur, en tout cas largement impuissant à résister à cette loi voulant qu’à chaque époque s’impose l’art qui lui correspond le mieux.

Croire que la «branchitude» pourrait définir les contours d’un «art officiel» est lui faire trop d’honneur. Elle ne sait que suivre mollement les grands flux esthétiques du monde, parce qu’ils circulent sur un marché, et parce qu’ils produisent et diffusent des visibilités inouï;es sur les grands courants qui agitent et constituent le monde. Flux par lesquels l’art peut être contemporain.

André Rouillé.

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Katinka Bock, Le Socle, 2007. Calcaire. 54 x 56 x 55 cm. Courtesy galerie Jocelyn Wolff, Paris.

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