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Art Tomorrow

Analyse des tendances de l’art depuis les années 1990, et de ses influences contextuelles : rôle des musées, héritage du Pop Art, représentation de la réalité, néo-classicisme, goût de la provocation, place du corps et de la science, etc. Pour une découverte habile des arcanes parfois complexes de l’art actuel.

— Éditeur : Terrail, Paris
— Année : 2002
— Format : 29,50 x 25 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs
— Pages : 304
— Langue : français
— ISBN : 2-87939-249-7
— Prix : 35 €

Quel art pour le XXIe siècle ?
par Edward Lucie-Smith (extrait, pp. 8-11)

L’objectif de ce livre est à la fois modeste et ambitieux. Modeste parce qu’il souhaite aborder, en des termes aussi simples que possible, les dernières évolutions dans le domaine de l’art. Les faits plus que les théories jalonneront le territoire exploré. Ambitieux parce qu’il tentera de mettre en relation ces faits avec les tendances plus générales qui traversent notre société — tendances que le monde artistique accueille sans discernement voire en toute méconnaissance, ou qu’il rejette au contraire en bloc lorsqu’elles lui paraissent défavorables. En outre, il s’essaiera à l’analyse de quelques mythes solidement ancrés, au travers notamment du qualificatif de « contemporain », si souvent employé, et de la notion d’« avant-garde ».

À partir de ces prémisses, nous pouvons raisonnablement espérer émettre quelques hypothèses sur le devenir de l’art. Notre démarche s’appuyant sur la prospective autant que sur la rétrospective, nous ne remonterons pas au-delà de 1990. L’une des grandes faiblesses des textes récents sur les pratiques artistiques contemporaines tient à l’intérêt paradoxal qu’ils accordent à ce qu’il est désormais impossible de considérer comme nouveau. Quelle que soit l’influence qu’il a pu conserver, le Pop Art est aujourd’hui un phénomène historique. Andy Warhol, que d’aucuns considèrent encore comme un artiste actuel, a disparu en 1987. Depuis lors, l’eau a coulé sous le pont des arts. Si la sensibilité pop survit, c’est parce qu’elle a été intégrée à la culture urbaine moderne. Les dernières œuvres de Jeff Koons (né en 1955) sont à cet égard symptomatiques — elles auraient tout aussi bien pu être réalisées dans les années 1960, date où émerge le Pop Art.

Pourtant, nombreux sont les changements intervenus. Le premier aspect à prendre en considération est sans doute celui des relations entre l’art contemporain et les institutions officielles. Depuis l’irruption des Fauves au Salon des Indépendants de 1905 (qui marque le début de la modernité), il est admis que les artistes contemporains et la vaste masse environnante de la société forment deux entités irrévocablement opposées; que les premiers s’insurgent contre le dédain de la seconde. enfin, que les institutions officielles excluent, voire persécutent les artistes expérimentaux.

Ce discours n’a plus aujourd’hui de fondement légitime. Depuis le milieu du XXe siècle, les manifestations artistiques se sont considérablement développées, permettant au grand public d’accéder aux tendances nouvelles. La vénérable Biennale de Venise, après avoir subi plusieurs transformations au gré des évolutions politiques de l’Italie, est de nouveau considérée comme un forum d’échanges majeur. Non moindre est l’importance de la Documenta de Kassel — fondée à l’origine pour symboliser l’abjuration de la doctrine nazie contre le modernisme autant que pour marquer la différence entre la culture de l’Ouest et celle de l’Est sous domination soviétique (Kassel se situe tout près de la frontière qui divisa autrefois les deux Allemagne). Nous devons également mentionner la Biennale de Sao Paulo qui depuis 1957 facilite la diffusion des diverses formes d’art contemporain auprès du public latino-américain, ainsi que des événements plus récents tels que les Biennales de la Havane et d’Istanbul.

L’installation réalisée par Fabrizio Plessi sur la Piazza San Marco pour la Biennale de Venise 2001 offre un parfait exemple des gestes spectaculaires de type semi-officiel qu’autorisent ces manifestations. De même, celle de Tania Bruguera à la Biennale de la Havane 2000 prouve qu’un régime politique fort différent de celui de l’Italie peut trouver profit à valoriser l’art contemporain. Les biennales ont largement contribué au statut de centre culturel majeur qui est désormais celui de Cuba et ce, malgré l’isolement diplomatique voulu par Castro.

Plus frappant encore est l’expansion des musées, en taille comme en nombre — on pense ici aux réussites du Musée Guggenheim de Bilbao dû à Frank Gerhy ou de la Tate Modern de Londres par Herzog et Meuron. La popularité de ces institutions, le nombre élevé de visiteurs qu’elles attirent, démontrent que les arts contemporains occupent une place toujours plus centrale dans nos sociétés. Impression confirmée s’il en était besoin par l’importance médiatique croissante accordée aux grands prix tels que le Turner Prize en Angleterre ou le Hugo Boss Prize aux États-Unis.

Après avoir abordé la question des relations entre l’art contemporain et les institutions officielles, nous devrons nous intéresser à celles qu’il entretient avec la géographie et la politique, tant sur plan régional que mondial. En effet, ne dit-on pas souvent que l’art s’est « globalisé » — qu’il est aujourd’hui une valeur proprement universelle ? Dans le même temps, certaines régions ou villes ont paradoxalement acquis un statut privilégié. Paris fut ainsi la capitale incontestée de l’art contemporain jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. L’hégémonie passa ensuite à New York que d’aucuns considèrent toujours comme un lieu de légitimation incontournable. D’autres en revanche, estiment que Londres désormais a repris le flambeau. D’autres enfin, suggèrent que les nouveaux moyens de communication ont rendu caduque toute idée de centre dominant.

Si nous envisageons la question de la « globalisation » sous son aspect technologique plutôt qu’historique ou politique, les conclusions auxquelles nous aboutissons, sont peu réjouissantes. Au cours de la première moitié du XXe siècle. les tenants du modernisme affirmaient l’universalité de leurs concepts. Pour autant, le champ d’application de ces concepts est loin d’avoir été universel. Ils ont prévalu en Europe de l’Ouest jusqu’à l’avènement des dictatures allemandes et soviétiques qui mirent brutalement fin au mouvement moderne. Ils eurent également cours aux États-Unis et s’aventurèrent en Amérique du Sud où ils furent souvent radicalement transformés à des fins populistes — comme ce fut le cas avec les muralistes (Rivera, Siqueiros et Orozco) au Mexique. Partout ailleurs, l’art moderne demeura presque entièrement inconnu.

Dans la seconde moitié du XXe siècle, l’art évolue considérablement — non seulement la modernité reprend ses droits en Allemagne, puis en Russie et en Europe de l’Ouest mais elle gagne de nouveaux horizons, tels que le Japon, la Chine, la Corée et plus généralement, l’Extrême-Orient. Les grands musées européens et américains ont souvent souligné l’effort accompli en direction des artistes non-européens.

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions Terrail)

L’auteur
Edward Lucie-Smith s’attache dans l’art du XXIe siècle, à étudier l’ensemble des facteurs technologiques, sociaux et esthétiques qui façonnent aujourd’hui l’art mondial des cent prochaines années. Il est l’auteur de plus d’une centaine d’ouvrages critiques et d’histoire de l’art moderne et contemporain. Il vit à Londres.

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