Artcore est une jeune galerie qui s’est installée dans la maison de Molière à deux pas du Palais Royal en septembre 2003. L’hôtel particulier est laissé à ses occupants en contrepartie de la rénovation du lieu. Cet échange de bons procédés donne le ton à ce lieu qui se veut alternatif. L’ambition de Laïla Tamer-Morael est de créer un laboratoire des rencontres. L’espace devient un outil promotionnel pour des artistes que l’on n’a pas l’habitude de voir.
Le quatrième opus de la saison participe de cette volonté de mettre en rapport des univers et des gens qui ne se croisent pas habituellement. « Art Is Stick », (prononcer artistique), est un collectif né en 2002, sous l’impulsion d’Antoine Gamard, qui regroupe des artistes travaillant dans la rue.
Ils sont les petits frères du Hip Hop américain mais sont aussi les héritiers de l’affiche de Mai 68. Gravitant autour du graffiti et du tag, ces artistes trentenaires, ont su évoluer dans leur pratique en extérieur pour gagner l’univers clos de la galerie. De la bombe de peinture ils sont passés à des techniques plus douces, plus discrètes. Le passage de l’aérosol à l’affiche et aux stickers (autocollants) a été favorisé par la répression des pouvoirs publics. La puissance coercitive de la justice a obligé la scène graffiti à repenser sa façon d’investir la ville, elle a radicalisé une partie du mouvement en vandales, mais a permis aux autres de changer de pratiques. D’un côté le noyau dur du mouvement attaque les transports en commun et le mobilier urbain à l’aide de tournevis et d’acide, et de l’autre, les anciens tagueurs se transforment en tigres de papier.
« Art Is Stick » appartient à cette deuxième catégorie, mettant de côté l’odeur de la peinture industrielle — sans y renoncer —, le collectif se caractérise par l’action de coller, de sticker. Profitant du vide juridique entourant l’affiche artistique, ils ont pu, depuis plus de deux ans, exposer sur les devantures des magasins abandonnés et sur d’autres cimaises improvisées de la capitale et d’ailleurs. Ils parsèment leurs dérives situationnistes de stickers qu’ils collent sur les panneaux d’affichages publicitaires, les gouttières et autres armoires électriques. Ce jeu de piste à l’échelle de la ville fait passer ces anciens guérilleros urbains en véritable flâneurs baudelairiens.
Mais exposer ce type de travail en galerie est risqué et voué à l’échec selon Gamard. C’est pour cette raison que tous les participants ont travaillé spécialement pour l’exposition. Pour créer un échange ils ont proposé à des artistes sédentaires, des artistes d’atelier, d’aller dans la rue, eux à l’inverse se sont efforcés de se contraindre aux règles de l’espace fermé.
Gamard présente son Corbeau — oiseau qu’il a collé pendant deux ans — sur toile sérigraphiée, l’Atlas présente ses boussoles-labyrinthes, Tanc est présent avec des peintures abstraites et Jérôme “G” Demuth transforme toute une pièce de la maison de Jean-Baptiste Poquelin en Show Room version Barbara Kruger.
Gökçe Celikel, une artiste Turque, expose des chevelures en perles. Ses portraits se résument au contour d’un visage et à la juxtaposition d’une coiffe perlée et colorée. Durant le vernissage les spectateurs s’amusaient à se photographier devant son travail. L’attitude était la même que celle que l’on retrouve dans les fêtes foraines, où les gens mettent leur tête au-dessus de mannequins peints. Le grotesque ici fonctionne avec le masque de la célébrité. Les Gorgones aujourd’hui sont médiatiques, celui qui regarde Méduse n’est plus transformé en statue de sel mais en être écranique. Le kitsch des perles, leur prétendue préciosité, est à la hauteur de leur apparence tape à l’œil et complètement toc. Ces portraits perlés en disent long sur notre société du regard et des apparences.
La même interrogation surgit des diptyques de Milan Atanaskovic, l’artiste Serbe oppose des portraits d’homme d’état, souvent moustachus, avec des vulves aux étranges rictus. Il place ensuite l’ensemble dans la rue et filme le regard des passants. Le 5 juin 2004, lors de la manifestation anti-Bush, il a placé son travail sous forme de banderole en haut de la colonne de la Bastille. Le président américain était portraituré à côté d’un sexe de femme. La violence qui brise les frontières du privé et du public, qui s’immisce dans la sphère de l’intime est-elle moindre que celle de nos dirigeants ?
« Art Is Stick » est une exposition qui fonctionne sous la forme de propositions. La galerie est comme une auberge espagnole, elle est ouverte à tous les vents, à tous les gens. Entre l’extérieur et l’intérieur, elle a résolument choisi d’être un carrefour, d’être un rond point giratoire.