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On aimerait se persuader que c’est une sorte d’inquiétude diffuse éprouvée face à la perte de ses prérogatives dans le monde de l’art contemporain, gagnées au cours de trente années d’un brillant parcours éditorial, qui a conduit la rédaction d’Art Press à terminer l’année de la pire façon : en commettant un odieux communiqué intitulé «Les vilenies de Guy Scarpetta» (déc. 2006, p. 90)
Un communiqué d’une demi-page très officiellement signé «art press», dirigé contre cet ancien rédacteur du magazine, et contre deux journaux qui n’ont en commun que le fait de publier ses textes dans leurs colonnes : le journal Particules diffusé gratuitement dans les galeries, et… «Le Monde diplomatique, journal très apprécié, comme on sait, du dictateur de La Havane»!
Ça commence très fort. «C’est ainsi : il est des esprits médiocres pour qui le monde est médiocre ; il est des âmes basses qui ne voient chez autrui que bassesse. Guy Scarpetta est une des ces âmes-là. Une feuille d’art distribuée dans des galeries, au titre judicieusement choisi, Particules (dict. Robert, particule : “très petit morceau”), nous est tombée malencontreusement entre les mains. Guy Scarpetta y tient son Journal».
Pourquoi un tel mépris et une telle suffisance, livrés dans une si piètre rhétorique? Tout simplement parce que Guy Scarpetta a osé «glisser quelques lignes» à l’encontre de la directrice et d’un responsable de la rédaction d’Art Press au sujet de leur action dans l’exposition «La Force de l’art».
Cette impudence vaut également à Guy Scarpetta de se voir opposer que tel auteur célèbre l’a traité de «chien de garde», et tel autre de «petite pointure» (Art Press cite allégrement — et élégamment — les noms de ces deux auteurs pour cautionner sa détestable démarche).
Mais ce n’est manifestement pas suffisant. Alors, le communiqué s’écharne et s’égare sur les terrains scabreux de la délation: «Comme Scarpetta n’en est pas à sa première attaque contre Richard Leydier, le moment est venu pour nous de livrer quelques informations». Cette menace, qui résonne des pires moments de notre histoire, est aussitôt mise à exécution sous la forme d’une pénible et poussive énonciation de griefs aussi dérisoires qu’inintéressants pour le lecteur.
Tout cela est à la fois inadmissible et terriblement révélateur, d’autant plus que ce communiqué n’est pas un simple dérapage de rédacteur fatigué en fin bouclage, mais l’expression assumée de la rédaction.
Le ton et l’absence de la moindre argumentation sonnent comme un désaveu cinglant de la rédaction d’Art press qui trahit là son incapacité à mener le moindre débat face aux critiques qui lui sont opposées.
On a le droit de ferrailler avec des individus, de critiquer, même sévèrement, leurs actions, leurs opinions, leurs œuvres ou leurs engagements, mais avec le devoir de le faire dans le plus grand respect.
Respect également pour le lecteur qui est entraîné dans cette dérive infernale. Je ne connais pas Guy Scarpetta, sauf par ses écrits, mais j’ai, en tant que lecteur, été profondément choqué, presque humilié moi-même, d’être confronté à tant de médiocrité, de mépris, d’indécence — d’être rabaissé au niveau des plus sinistres tabloï;ds. Je n’achète pas Art Press (6,30 euros/numéro) pour être ainsi plongé dans cet abîme nauséabond.
On assiste à un oubli total des plus élémentaires valeurs auxquelles un magazine de culture ne devrait pas déroger, d’autant moins qu’il est convaincu de sa supériorité. Confondant allégrement les domaines privé et public, le communiqué procède à un pur et simple règlement de compte à l’encontre de Guy Scarpetta. Pour des raisons dont le lecteur ignore tout, et dont il n’a cure. C’est l’attitude typique des petites chapelles refermées sur elles-mêmes, aveugles et sourdes à leur entourage, au monde, et en l’occurrence à leurs clients…
Le communiqué échoue à nous persuader que Guy Scarpetta a fait plus que lancer quelques pichenettes, au plus quelques petites «attaques contre Richard Leydier». En pareil cas, une rédaction respectueuse de ses lecteurs — ou incapable d’élever le débat —, laisse faire, parce que ce n’est pas si grave. Parce que publier un magazine expose fatalement aux critiques, et oblige à accepter qu’elles puissent être défavorables.
A moins d’être persuadé de sa propre infaillibilité, et par conséquent de la totale illégitimité à être égratigné par ces «très petits morceaux» de papier ou d’internet, gratuits et impertinents de surcroît, qui pointent leur nez à l’horizon.
Les pensées, les actes et les écrits de Richard Leydier sont-ils d’un degré d’élévation et de pertinence tel qu’ils défient toute critique? Est-ce un crime d’en douter?
On perçoit dans ce sentiment orgueilleux d’infaillibilité les effets d’un long et inexorable processus d’ossification dont ce communiqué-lapsus trahit les symptômes : une incapacité à apprécier les situations, à ajuster le niveau de réplique, à discerner les limites de la décence, à respecter les individus, et tout simplement à comprendre que l’époque a changé.
Art Press ne sait pas voir, ou admettre, que l’émergence de nouveaux supports d’information est une chance à accueillir positivement. Comment une telle cécité peut-elle s’accorder avec l’acuité du regard que requiert la bonne intelligence des bouleversements actuels de l’art et de la culture?
Les attitudes sclérosées d’hier sont heureusement en train de disparaître sous les coups du changement d’époque. Mais dans cette zone de turbulences, les risques de dérives et dérapages sont grands….
André Rouillé.
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Edouard Sautai, Installation (A86 à Choisy-le-Roi), 2006. Tirage Lambda sur aluminium. Courtesy l’artiste.