Avec «Archipeinture», le Plateau présente pas moins de 18 artistes autour de ce que la commissaire d’exposition Caroline Bourgeois nomme la «peinture élargie». Ce projet ambitieux offre une vision très actuelle de ce qui constitue la génération montante de la peinture internationale (nombre d’artistes présentés à «Archipeinture» proviennent de prestigieuses galeries londoniennes et berlinoises). Toujours en relation avec son environnement proche, le Plateau propose une motivante lecture des enjeux urbains, ceux de l’architecture confrontée à une appropriation artistique de la ville.
Qui dit ville dit utopie. Cela n’est évidemment pas étranger aux toiles colorées de Franz Ackermann qui semblent tout droit sorties de Yellow Submarine et autres Sergent Pepper. Des tons très connotés années soixante composent Amaryllis (2003). Cette peinture monumentale hésite sans cesse entre l’utopie positive de Thomas More et le cauchemar orwellien. Car ici la ville est indécise. Lovée au creux d’un puit, elle côtoie une végétation luxuriante et de curieux nuages bleus en forme de bulles de bande dessinée. Naïveté et pop-art n’ont jamais été aussi rafraîchissants.
L’étrange Classic Gambit (2005) de Philip Allen reprend ce dualisme. L’artiste rend toute notion de perspective floue en mêlant sans retenue géométrie et matière. Sur un arrière plan montagneux très découpé, Allen suspend des bulles colorées qui dégoulinent sur la surface picturale. Le tableau est encadré par d’épais tourbillons de matière picturale qui ne sont pas sans rappeler les nuages de Van Gogh. Le résultat est explosif.
De références à l’histoire de l’art, il est aussi question avec les œuvres de Oliver Zwink ou Andrew Lewis disposées de part et d’autre de l’exposition.
Oliver Zwink propose une sorte de structure en carton rappelant les barres d’immeuble des banlieues, sortes d’héritiers dégénérés du Bauhaus (Lüster, 2006). La maquette suspendue au plafond tourne sur elle-même avant que l’on ne s’aperçoive qu’elle est ciblée de trous. Cette réactualisation des «sculptures» de Matta-Clark joue l’ironie, du moins si l’on en croit le papier peint coloré qui délimite l’installation.
Les maquettes d’Andrew Lewis participent davantage d’une verve dadaïste. Les maisonnettes de Lewis plongent le visiteur dans son enfance, celle des rêveries et des promenades en forêt, de nos projets trop rapidement avortés de constructions de cabanes. Ici l’architecture se fait bricolage comme pour laisser libre cours à l’imagination poétique…
Julie Mehretu — artiste représentée par l’intournable White Cube Gallery de Londres et déjà très remarquée lors de l’exposition «GNS» du Palais de Tokyo — hybride des références de l’histoire de l’art (Kandinsky, Okusai, Malevitch) et des formes plastiques indéterminées. Ses œuvres s’imposent comme des tests de Rorschach utilisés en psychologie. Les toiles de Mehretu demandent que l’on cherche «le motif dans le tapis» (à moins qu’il ne s’agisse du contraire !). L’issue est fatale, les œuvres de Mehretu finissent par perdre à jamais le spectateur dans les méandres graphiques de ses compositions.
«Archipeinture» réalise le tour de force de proposer un regard pertinent sur l’architecture tout en évitant l’angélisme comme cela est trop souvent le cas dans les expositions d’art contemporain sur ce thème.
Si vous vibrez à l’évocation des jardins ouvriers, si les bricolages écolos de Gilles Clément vous bouleversent, si pour vous une médiathèque dans une cité est un «rempart» contre la rudesse de la vie, alors passez votre chemin. «Archipeinture» est volontairement ambiguë. Pour notre plus grand plaisir, l’exposition parvient à éviter les lieux communs et n’est jamais complaisante face à la doxa urbanistique.
Seul bémol, l’exposition du Plateau souffre de son contexte. La scène artistique française a cela de curieux que lorsqu’elle expose de la «peinture» — même quand celle-ci est de qualité — elle exprime immédiatement le besoin de s’en excuser. Face au tonitruant projet curatorial londonien de Saatchi «The Triumph of Painting», on propose timidement des «Chers peintres», «Voir en peinture» ou «Archipeinture». Malgré un parti pris curatorial pertinent et la force incontestable des œuvres présentées au Plateau, le projet reste en retrait par excès de modestie. Nul doute qu’il est temps d’assumer la peinture et d’oser le spectaculaire !
Franz Ackermann
— Amaryllis, 2003. Huile sur toile. 235 x 325 cm.
Oliver Zwink
— Lüster (détail), 2006. Carton et papiers collés. 80 x 80 x 150 cm.
Berdaguer & Péjus
— série «No City», 2005. Vidéo.
Silke Schatz
— Mothership, 2003. Matériaux divers. Diam. : 160 cm.
Santiago Cucullu
— Wall Painting, 2006. Sculpture.
Alexandre Ovize
— Onomapotropaïque, 2006. Installation.
Yves Bélorgey
— Quartier des Poètes, Pierrefitte, Seine-Saint Denis, Janvier 2006. Peinture.
René Daniëls
— Observatorium, 1986. Huile sur toile. 140 x 100 cm.
Phillip Allen
— Classic Gambit (declined version), 2005. Huile. 153 x 183 cm.
Hurvin Anderson
— Some people, séries «Welcome», 2004. Peinture. 150 x 233 cm.
Thomas Huber
— Halle IV, 2001. Huile sur toile. 200 x 300 cm.
Andrew Lewis
— Sylvie, 1993. Carton. 45 x 50 x 50 cm.
Julie Mehretu
— Alter, 2005. 92 cm x 120 cm x 3 cm.
Ulf Puder
— Siedlung, 2005. Huile sur toile.
Andro Wekua
— Just Two Hands (détail), 2006. Sculpture.
Toby Ziegler
— Hopes For A New Cure, 2005. Huile, peinture.
Matthias Weischer
— O.T. (Zeichnung), 2005. Pastel et crayon sur papier. 27 x 38 cm.
— Wohnwagen, 2003. Huile sur toile. 122 x 132 x 4,5 cm.