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Archéologie du futur : 20 ans de tendances

L’« archéologie du futur » est sa profession. Une curieuse schizophrénie : quels sont les secrets de la grande dame pour mettre ses clients au diapason du dernier cri, pour aider les professionnels de la création à mieux comprendre notre époque ?
Un flash back divise les 20 dernières années en sections de tendances juxtaposées, voire opposées (corps/âme, flore/faune, etc.). Car la scénographie de ces multiples objets et images, va bizarrement à l’encontre de ce qu’on nous annonce : cette période a été déterminée par des crises économiques ou écologiques ayant rendu obsolètes les dualités et nous conduisant vers plus de métissage, une création plus diplomate et intuitive.

Aussi sommes-nous tiraillés entre un grand bazar épars et séduisant, et une armature conceptuelle fort juste, mais dont on voudrait s’affranchir. Pour apprécier, par exemple, le lustre hybride de la première salle, entre urbanité et ruralité. Monté en kit à base de bois non traité, il est habillé de fils électriques et d’ampoules nues. Un dispositif citadin et bourgeois au vocabulaire pauvre et naturel. Sur le panneau de texte correspondant, Li Edelkoort déduit de cet objet et de ses semblables la vision de « gratte-ciels agricoles » chargés de nourrir le milieu urbain. Une image plus riche que la comparaison inepte des atmosphères de la ville et de la campagne…

Ainsi, la solution de continuité n’a pas pris entre les mots et le sensible, comme s’ils avaient été déconnectés pour l’analyse, et que l’on n’avait pas su en retrouver l’alchimie. La confusion est de mise à l’intérieur de chaque duo conceptuel. A l’exception peut-être d’ »Abstraction et Narrativité » : les deux styles présentent des formes couvrantes, les unes tournées vers l’intérieur (vêtements et coquilles de feutre ou de papier) et les autres adressées à l’extérieur (enfants portant des masques bricolés à l’effigie de héros). La première tendance se retire du détail et absorbe le bruit ambiant (le « blind design »), quand la seconde formule le besoin de figurer son être-au-monde, de se travestir pour mieux construire son identité.

« Corps et Ame » touchent aussi du doigt l’ambivalence qu’exprime la mode selon les périodes vécues. Une télévision passe un défilé de Hussein Chalayan : six mannequins nus arborant six longueurs sacrilèges du voile islamique. Quant à la Fracture Chair de Ineke Hans, elle est recouverte de bandages. Un matériau pauvre qui vient solidifier à la hâte un assemblage en polystyrène, improvisant l’allure maîtresse de cette assise précaire.

On regrette enfin que la robe et le rose, les plus probants en matière de durabilité, ne soient pas autrement illustrés que par deux textes symboliquement placés dans un passage. On y lit de belles idées sur la plasticité de ces « monoproduits » pouvant signifier le luxe et l’ascèse, la provocation et la petite enfance, l’érotisme et le confort. Mais elles paraissent bien pâles à côté de la force du flacon Flowerbomb, de Viktor & Rolf. Rose et noir, il est une grenade à dégoupiller ou une pierre aux précieuses facettes : un concentré de douceur et d’agressivité.

L’attente du visiteur quant à cet oracle mi-divinatoire, mi-scientifique, est forcément déçue. On n’en comprend pas plus le métier, sinon la collecte d’échantillons de vie sensible, et un rapport au temps décloisonné, indexé par les sigles de type (1998). On aurait aimé une exposition ou plus didactique, ou complètement intuitive, pour se sentir traversé par les courants d’air du temps malgré nous. Il apparaît surtout qu’il s’agit d’une rhétorique… que la prêtresse doit conserver comme telle, nébuleuse et fascinante, afin d’entretenir l’envie de créer.
De ce cabinet de curiosité géant, on ne retient que ce que l’on connaît déjà. Au pire, on noie le reste dans l’impression désordonnée de ce display ; au mieux, on le replace dans les perspectives intéressantes qu’il trace, notamment dans la dynamique du rapport de nos usages individuels à un geste global, collectif.

Guus van Leeuwen
— Cerus Elaphus Radiator, 2008. Filaments de chauffage.
Karin Frankenstein
— Sofa & Sidetable, 2008. Mélange d’argile, de sable et de bouse de vache.
Guus van Leeuwen
— Cerus Elaphus Radiator, 2008. Filaments de chauffage.
Li Edelkoort
— Carnets de tendances, 2008-2009.

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