Juliette Agnel, Cyprien Chabert, Jeonghwa Choi, Marc Couturier, Nicolas Darrot, Gregory Crewdson, Carole Fékété, Cyprien Gaillard, Ian Hamilton Finlay, Hamish Fulton, Rodney Graham, Camille Goujon, Mathilde Rosier, Raphaël de Villers, Yves Chaudouët
Arcadia
Si l’imaginaire est la marque fondamentale de l’esprit humain, et qu’il gouverne toutes les créations intellectuelles, il a aussi le pouvoir de se soustraire au temps et de se soulever contre lui. En Arcadie, l’imaginaire s’est assuré d’un ancrage mythique. Celui de Pan, le dieu de la totalité et de la nature, et celui d’Hermès, le gardien des routes et des voyageurs. Cette terre, enclavée aux confins de la Grèce est à la fois réelle, mythique et fantasmée. Elle va sans cesse se réinventer au cours de l’Histoire, et être symptomatique des changements d’époque.
L’imaginaire arcadien qui se dessine dans l’espace est un lieu où le temps est comprimé. Contrairement au temps qui consume l’existence, cet univers propre à la rêverie devient une source d’alternative au réel et prend alors une dimension d’espérance. Cette topographie esquissée des contours de l’Arcadie, terre des dieux et des muses, va ainsi devenir le creuset de la poésie élégiaque. Parmi ses auteurs, c’est Virgile qui va le mieux trouver dans ce paysage imaginaire, une traduction de sa relation au monde, partagée entre une aspiration au bonheur et un élan vers la tragédie.
A la Renaissance, Claude Gouffier, propriétaire du château d’Oiron, capitaine des cent gentilshommes de la maison du Roi et grand écuyer est l’un des personnages les plus importants de la cour de France. Homme érudit et curieux, grand collectionneur, il va choisir pour devise un vers de Virgile tiré de l’Enéide : «Hic Terminus Haeret» «Ici est le terme». Ce vers énigmatique est à la fois une éthique de vie et une réflexion morale et philosophique au point d’inspirer l’ensemble du programme artistique du château. On retrouve ainsi la devise sculptée dans tous les éléments majeurs du décor sur la façade de la galerie, dans le grand escalier, à l’entrée de la collégiale et dans la galerie de peinture.
Si l’ambiguïté est la règle du genre, cette devise n’est pas sans rappeler un autre vers célèbre qui a donné lieu à maintes interprétations : «Et in Arcadia ego», que l’on peut traduire par «Moi aussi j’ai vécu en Arcadie» ou «Même en Arcadie, moi, je suis». D’abord représentée dans un tableau du Guerchin, sa présence dans les deux versions du tableau de Poussin Les bergers d’Arcadie vont amener les iconologues à s’interroger sur le sens de cette expression. Le rapprochement sémantique établi entre la devise de Claude Gouffier et l’inscription sur le tombeau découvert par les jeunes bergers du tableau de Poussin est celui d’une prise de conscience de la condition humaine et de l’inexorable question que pose la finitude.
C’est de cette expérience existentielle, entre la rêverie fusionnelle qui nourrit le thème arcadien et la conscience de la séparation de l’homme et du cosmos, que naît le sentiment esthétique de la nature comme paysage. Avec l’Arcadie comme contrepoint poétique, cette exposition présente les oeuvres de quinze artistes qui questionnent le rapport de l’homme à la nature, sa perception comme un facteur dynamique de l’ imaginaire. La représentation de la relation au cosmos, aux mythes, ou au sacré participe comme la fable et l’onirisme, d’une vision aussi bien enchantée qu’inquiétante des forces à l’oeuvre dans la relation complexe que l’être humain entretient avec le monde naturel.
Pour certains artistes, l’appréhension du monde passe par un engagement physique ou politique. Pour d’autres, la nature investit le domaine des sentiments. De quelle façon sont-ils incarnés et comment la question du beau se pose à travers l’image du paysage ? C’est dans le contexte du château d’Oiron que ces oeuvres au fort pouvoir métaphorique interrogent le visiteur et créent un jeu d’associations d’idées avec l’esprit du lieu et la collection permanente Curios et Mirabilia.