Les dernières réalisations de Jordi Colomer insistent toujours sur la mise en abîme d’un territoire par le biais de la performance.
Dans Anarchitekton, la dernière pièce montrée à la galerie, le Catalan mettait en parallèle la ville (Brasilia, Barcelone, Bucarest et Osaka) et ses bâtiments avec leurs modèles réduits, des maquettes portées par un homme comme l’on brandit une pancarte pendant une manifestation.
Le signal visuel venait parasiter les attendus de la représentation urbaine (des rues, des passants, des immeubles, les accords de couleurs et de lignes, les confrontations inévitables dans l’espace, etc.) pour révéler sa charge utopique ou au contraire ses contradictions.
Avec Arabian Stars, Jordi Colomer entre dans une nouvelle phase de ce mécanisme.
Plutôt que la ville, ce sont ici des icônes de la culture occidentale qu’il met en scène à travers de longs travellings urbains et paysagers. Pêle-mêle, Zinédine Zidane, Picasso, Sherlock Holmes, Batman, personnages de fiction, artistes, stars de show-business, acteurs dont le nom est inscrit sur des cartons peints en langue arabe.
Car nous ne sommes pas dans une métropole occidentale, là où tous ces mythes ont marqué les esprits. Colomer nous transporte au Yémen, terre musulmane, souvent stigmatisée pour le foyer intégriste qu’elle est censée alimenter.
Colomer nous promène dans les rues bruyantes de Sana’a, Shibam et Aden, ou bien dans le désert aride des provinces plus excentrées, accompagné à chaque fois d’un porteur occasionnel de pancartes. A pied, à l’arrière d’une camionnette, le figurant brandit le nom d’un de ces mythes devant le regard des passants, amusé pour certains, distrait ou ébahi pour d’autres.
Colomer filme cette traversée quelque peu grotesque : que viennent faire les Michael Jackson, Pikachu, Astérix, Heidi et Mies Van der Rohe dans un décor qui ne leur appartient pas ? Au milieu de ces noms, d’autres bien plus réels viennent s’y confronter : le chanteur Abo Bakr Saalem, les poètes Al Zubeiri ou Albaradoni, la ministre yéménite des Droits de l’homme Amat al-Alim al-Susua.
Plus que de détournement d’une culture par une autre, Colomer situe son discours sur l’intégration, la digestion au niveau local, d’une culture mondialisée transmise dans un contexte (un décor si l’on devait filer la métaphore de la mise en scène) totalement abrupte dans son étrangeté.
L’étrangeté, c’est aussi l’humour que l’artiste distille à forte dose, dans ces situations décalées, ces caricatures forcées, dans le fait que les figurants enfants et adultes se prennent véritablement au jeu du simulacre.
Cet humour fonctionne comme un antidote à une situation géopolitique critique qui pervertit les rapports entre les hommes et qui impose une lecture unilatérale du monde, martelant les règles d’une culture dominante face à des minorités en quête d’identité.
Jordi Colomer
— Arabian Stars, 2005. Installation vidéo. Master HD cam transféré sur DVD. 28 minutes, 35 panneaux en carton et 82 chaises.