La contestation est-elle une valeur sûre? L’expression n’est pas très belle et écorcherait presque la bouche si l’on ne devait faire face, à la Galerie Gabrielle Maubrie, aux œuvres du Brésilien Nelson Leirner qui semble mettre fin aux fêtes de l’année du Brésil. La surenchère de stéréotypes et d’exotisme frôlait l’écœurement. Mais une certaine facilité nous guette encore, semble-t-il : le «constructivismo rural», mouvement contestataire à l’encontre de la bourgeoisie, inspire au plasticien une série de Vénus de Milo revue à la sauce Pop Art.
Exposées dans un présentoir rappelant les boutiques de musée, les belles éclopées sont assaillies par tous les symboles du XXe siècle de l’art, américain de préférence.
La bande dessinée est en bonne place, Spiderman et Mickey dévoyant la statuaire antique. Le viol esthétique consiste en peu de choses : un assemblage d’éléments anachroniques où les symboles d’une époque font tomber ceux d’une autre. Les troncs humains prennent le faciès de la célèbre souris de Disney, les moignons de Vénus sont prolongés par l’étendard américain…
Les clins d’œil à Warhol sont légion. Leirner pioche chez les uns et les autres, notamment son sublime bleu à Yves Klein. L’emprunt artistique ressemble à un vol à main armée mais la revendication politique a ses exigences. Le Brésilien crie haut et fort sa contestation d’une société capitaliste, quitte à stopper net la progression de son art.
Les visées de Nelson Leirner ne sont pas nouvelles et encore moins subtiles. Le plasticien joue avec la mythologie graphique de notre temps pour mieux en montrer l’injuste condition.
Tout y passe : les figurines en plastique des héros de l’enfance, les timbres ou le billard miniature. Il fait un sort à quelques idées esthétiques brillantes, entre autres les séries. Les Vénus antiques bordent les mini-terrains de tennis et autres tables de ping-pong comme d’artificielles cariatides de stuc.
Doctrinal et donneur de leçon, son art semble dans une mauvaise passe. Ses installations n’ont pas l’ironie voulue, et le ressassement de ses obsessions tourne rapidement la tête du visiteur.
Pourtant, parmi ce fatras conceptuel, Leirner prouve qu’il est encore capable de surprendre. Une toile capte immédiatement l’attention. De loin : un assemblage de couleurs, un paysage où chaque aplat scintille, un grand format pointilliste. De près : des pin’s piqués les uns à côté des autres, des dizaines de «Hello Kitty» jouxtant des Garfield.
On croirait un chemin bordé de nature, il s’agit des pires objets du consumérisme contemporain. Tout son talent est là : le trompe l’œil au service d’idées sociales. Pris au piège de la vision, on en vient à sourire.
Le reste de l’exposition s’essouffle dans un minimalisme déjà vu. Des tableaux comme on pourrait en voir ailleurs chez d’autres peintres. Les tonalités du blanc, du noir et du marron rythment des formes géométriques dont la seule trouvaille est la matière : de la peau de vache. Leirner agace. En voulant pourfendre les États-unis, il en vient à se parodier. Tout est artificiel et ennuyeux dans ce parcours politico-esthétique où l’on confond revendication et création.
L’artiste a probablement perdu de son mordant sous les relents de pseudo-marxisme. L’exposition ne sonne pas le glas du Brésilien. Le grand format influencé par Seurat nous assure que des jours meilleurs sont à venir.