Apostolos Georgiou
Level one: Apostolos Georgiou
Dans son œuvre, Apostolos Georgiou explore le thème de l’existence humaine en se concentrant sur la condition de l’homme. Jouant de références à la Grèce des années 50, au cinéma, à la tradition de la peinture grecque mais aussi à l’espace scénique du théâtre, Apostolos Georgiou met en avant un profond sentiment d’aliénation, de solitude et d’humour. Il illustre de petites histoires, parle des mythologies de la vie quotidienne, révèle les situations existentielles de vulnérabilité humaine et de la faiblesse, l’échec et l’effondrement émotionnel.
Si son sujet principal est l’être humain, il est présenté à la manière d’une ébauche anonyme qui rejette toute caractéristique individuelle, on perçoit un double lointain de lui-même, représenté avec ironie et distance, mais aussi douceur et empathie. Bien que l’artiste conserve les principales caractéristiques morphologiques de ses personnages, ses tableaux sont dépourvus de tout détail susceptible de détourner l’attention, ainsi leurs traits sont réduits au strict minimum, ce qui permet de se focaliser sur la situation seule, si absurde soit-elle.
Il s’agit d’une peinture laconique, à peine brossée usant tout particulièrement d’une palette sombre au service d’une structure austère de compositions pour traiter avec ironie ses sujets. Ses couleurs rappellent celles des vieux films ou des romans illustrés; passées et disparues, elles diffusent et éclairent de manière précise.
Apostolos Georgiou travaille le plus souvent avec peu de personnages, deux parfois trois. Ses personnages y évoluent dans un espace clos, fermé, figé: il n’y a ni temps, ni espace. Basées sur ses propres expériences, comme une narration distancée, à la troisième personne, les peintures d’Apostolos Georgiou usent d’une stabilité précaire pour mettre en relief la problématique essentielle des relations humaines. Apostolos Georgiou peint pour oublier les limites, les jugements, les désirs, les identités… Cette situation absurde sans échappatoire se lit sur les attitudes fatalistes de ses personnages. Loin de jouir d’une quelconque autonomie, ils semblent perdus à l’intérieur des châssis: les bords peints sont des barreaux qui les isolent et les fragilisent. Les corps et les postures semblent frappés de claustrophobie. L’unique solution pour échapper à ce malaise semble être la fuite. Les attitudes de renonciation et d’introspection se lisent dans les postures des personnages dont les corps se plient dans la surface de la toile.
L’enfermement mental, physique et pictural n’est néanmoins pas oppressant. Il n’y a pas de malaise à contempler ces grandes toiles car la mise en scène des silhouettes affiche une fluidité des traits et un espace aéré où figures et couleurs sont disposées avec justesse. Le canevas libre contraste avec la condition d’enfermement des figures dont la disposition et l’activité entraînent plus de questions que de réponses. Le contact avec notre monde est inexistant; habitants d’un autre monde qui ne connaît pas l’idée d’extérieur, ils sont enfermés dans leur propre univers géométrique.
En observant ces personnages on pense connaître quelque chose d’eux: juste assez pour savoir qu’ils restent à la fois énigmatiques et familiers. Apostolos Georgiou évoque plus qu’un plaisir esthétique et nous apporte de manière frontale des enjeux non expérimentés dans la tradition de la peinture grecque; privilégiant l’atmosphère, il offre une grande liberté de choix quant à l’interprétation, laissant l’imagination du spectateur compléter sa narration.
Peut-on voir de l’abstraction dans ses peintures? Ces dernières sont principalement produites au moyen d’actes picturaux qui n’ont pas de fonctions purement représentatives et ne portent jamais de titre comme de nombreuses toiles abstraites. Apostolos Georgiou est un peintre abstrait qui ne fait pas d’abstraction. «En réalité je voulais être un peintre abstrait comme Jackson Pollock, Mark Rothko ou Christopher Wool; aller directement à la substance des choses réelles mais mes personnages ne me le permettent pas. On ne peut pas choisir ce que l’on est, mais on doit accepter qui l’on est. Je sais pertinemment que la solution, la grande aventure pour toute sorte d’expressions se cache derrière les idoles, les mots et les sons. Depuis que j’ai l’habitude d’utiliser des personnages dans mes peintures, au moins je les laisse peindre leurs propres compositions abstraites.» (Apostolos Georgiou, propos recueillis par J. Higgie, 8 painters on painting dans Frieze Magazine, janv-fév, 2014)