Safaa Erruas
Anticorps
Après une formation à l’Institut des Beaux-Arts de sa ville natale, Tétouan, Safaa Erruas se singularise très rapidement par une démarche radicale et s’oriente vers la monochromie, le blanc. En effet elle entreprend encore étudiante, un voyage à travers diverses villes du Maroc afin d’inventorier les motifs et couleurs des souks et grands marchés. A partir de ce moment là , l’artiste ressent le besoin d’épurer son univers, son propos, pour se ressourcer à la suite de cette cacophonie de couleurs et ne quitte plus depuis cette époque la monochromie.
Les matériaux qu’elle utilise évoquent la légèreté, la douceur, la transparence et leur traitement peut symboliser une extrême violence, une confusion des formes qui induit celle des sentiments. Toutes les problématiques liées au corps sont suggérées, le corps objet de genre, corps souffrant de maladie ou corps de la personne vivant en société dans des conditions politiques mouvantes ou incertaines. Pour ce faire, tissu, gaze, perles de céramique, coton, aiguilles sont autant de matériaux doux et tranchants qui s’opposent et s’unissent pour mettre en valeur un propos puissant et fin à la fois.
Dans «Anticorps», Safaa Erruas fait une référence silencieuse à la douleur. Elle développe ce thème dans ses différents aspects, scientifiques bien sûr mais aussi à partir de l’Intime pour aller vers des applications pour l’individu et la société. Cette présence de la douleur prend différentes formes, douleur extrême, criante mais également à travers le silence, sans voix même si elle est permanente et forte, elle est dessinée par des milliers de cicatrices invisibles que l’on ne reconnait qu’à travers soi.
L’artiste fait référence au poème Invictus écrit par William Ernest Henley sur son lit d’hôpital (après une amputation du pied à l’âge de 25 ans). Poème préféré de Nelson Mandela il traduit à merveille l’aspect fondamental du travail de Safaa Erruas, l’idée du Visible/Invisible sans opposition entre les deux.
«Dans les ténèbres qui m’enserrent
Noires comme un puits où l’on se noie,
Je rends grâce aux dieux quels qu’ils soient,
Pour mon âme invincible et fière,
Dans de cruelles circonstances,
Je n’ai ni gémi ni pleuré,
Meurtri par cette existence,
Je suis debout bien que blessé,
En ce lieu de colère et de pleurs,
Se profile l’ombre de la mort,
Et je ne sais ce que me réserve le sort,
Mais je suis et je resterai sans peur
Aussi étroit soit le chemin,
Nombreux les châtiments infâmes,
Je suis le maître de mon destin,
Je suis le capitaine de mon âme.»
Safaa Erruas est également présente dans l’exposition à l’Institut du Monde Arabe de 25 ans de créativité arabe jusqu’au 3 février.