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Anthony Vérot

La trame de la peinture d’Anthony Vérot, c’est le portrait. Il peint à l’huile, et depuis quelques temps, il exécute également des dessins au crayon de couleurs. Des visages donc, pour les petits formats, de face ou de profil, et des corps, debout ou assis, représentés aux deux tiers pour les tableaux de plus grand format, de face, de profil ou de trois-quarts, habillés ou nus. Certains tableaux réalisés en 2009 présentent le modèle devant un miroir. Il peint de préférence des personnes de son entourage ou en tous cas «qu’il connaît bien».

Sa peinture très lisse, sans aucun effet de matière, témoigne d’un processus de travail qu’on imagine très appliqué, méticuleux, faisant intervenir une habileté et une rigueur sans concession. En ce sens, c’est aussi une peinture de la ténacité. Anthony Vérot peint avec acharnement ses modèles, plusieurs fois, et, de façon récurrente, sa compagne, Elisabeth. Tel Sisyphe qui roule son rocher, il reprend son sujet sans s’arrêter.

On pourrait, au premier abord, penser qu’il s’agit d’une peinture de facture classique en tant qu’elle invoque les traditions de la peinture, par son sujet et aussi par ses références, notamment à la peinture anglaise et à celle de certains peintres du Nord.

Il faut passer outre cette apparente vraisemblance pour rencontrer le réel objet de la peinture d’Anthony Vérot. Car sa peinture est dérangeante.

D’abord, le regard des personnages est troublant, il nous toise: «Qu’est-ce que tu as à me regarder comme ça?» semblent nous dire ces modèles d’autant plus impressionnants qu’ils sont démesurés. Les traits marqués, sur-marqués, presque emphatiques, que sont-ils? Qui sont-ils? En dépit d’une peinture sans bavure, bien lisse, Anthony Vérot ne peut pas peindre du beau, du jeune ou du reluisant, ce n’est pas son sujet.

Difficile de ne pas remarquer les mains dont l’expressivité confère une partie de son humanité au tableau. Les mains se tordent, se tendent, se nouent, se joignent ou tentent de se reposer sur l’accotoir: elles ne savent pas où passer, où se cacher. Que sont-elles de plus que des mains pour nous interpeler à ce point? Que portent-elles? Quels crimes ont-elles commis? Noueuses, vieillies, brutes et puissantes, même les mains de femmes sont charpentées comme celles… du Boucher.

Anthony Vérot n’est pas seulement un portraitiste, il nous donne à voir autre chose, les traits marqués par le temps, les rides à venir… Mais oh! «Si je demeurais toujours jeune et que le portrait vieillisse à ma place! Je donnerais tout, tout pour qu’il en soit ainsi. […] Je donnerais mon âme!» s’écrie Dorian Gray, face à Basil Hallward, qui vient de terminer son portrait.
Justement, contrairement à Basil Hallward, Anthony Vérot anticipe sur le portrait les traits que ses modèles pourraient arborer plus tard. Ainsi, il inscrit ses modèles dans l’Eternité, il les délivre de toute action du temps sur leur chair, puisque c’est lui qui choisit et qui porte avec précision ces marques sur ces visages et non le temps. Les tableaux ont vieilli à la place des modèles, puisqu’Anthony Vérot a influé par sa peinture sur la réalité. Elisabeth sera toujours Elisabeth. Ni jeune, ni moins jeune.
Le reste, les couleurs, les matières… toute cette pratique de la peinture n’est que prétexte à l’exercice de cette alchimie.

On en revient au temps qui passe pour faire un tableau. La peinture permet à Anthony Vérot de prendre le temps. A l’inverse de l’instantané de la photo, le temps se déroule ici dans l’acte de peindre et dans la constitution du tableau. Encore du temps qui passe, qui déroule sa trame entre les doigts du peintre sur la toile. Tout est question de temps chez Anthony Vérot.

Question aussi de maturité. Ou plutôt de maturation. Et si le portrait avait vieilli pendant que l’artiste le peignait? Et si, entre la prise de vue qui lui sert de modèle, et la fin du tableau, pendant ce temps déroulé de la peinture, le portrait avait lui-même accumulé les marques du temps qui passe? Si le tableau avait intégré directement dans son sujet le temps nécessaire à sa constitution? L’objet peint rejoindrait ainsi le sujet peint.

Ainsi, Anthony Vérot se joue de la fatalité, inhérente au temps qui passe, en anticipant les marques du temps. Les modèles sont aujourd’hui plus jeunes que leur version peinte et leur version peinte est plus mûre qu’eux. Même les d’enfants n’ont pas des attitudes d’enfants. Comme si chaque instant qui passe faisait se rapprocher le modèle et le tableau.

En fait, Anthony Vérot défie les lois du rationnel. Alors que, dans un premier temps, le modèle est toujours plus jeune que le portrait; dans un second temps, plus long, voire infini, juste après que le modèle et le portrait se sont croisés en un point précis du temps, l’écart se creuse, pour jamais ne se redresser. Chaque jour à partir de ce moment, le portrait rajeunit d’un jour et le modèle vieillit d’autant. Le peintre sourit… le portrait aussi.

Liste des œuvres
Anthony Vérot
— Anthony Vérot, Alice, 2007. Crayon de couleur, 100 x 70 cm.
— Anthony Vérot, Double portrait (M. & Mme Avenel), 2008. Huile sur toile. 205 x 190 cm.
— Anthony Vérot, Miroir Elisabeth, 2009. Huile sur toile. 170 x 140 cm.

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