Ant Farm
Ant Farm Redux
En 1968, Doug Michels et Chip Lord fondent Ant Farm, groupe radical d’architectes établis entre San Francisco et Houston, sur la côte ouest des Etats-Unis. Ils furent ensuite rejoints par Curtis Schreier ainsi que par d’autres membres (Hudson Marquez, Douglas Hurr).
Influencé par Buckminster Fuller, Paolo Soleri, Archigram, les modes de vie nomades, les performances chorégraphiques d’Anna et Lawrence Halprin, Ant Farm s’affirme comme un groupe d’architectes «underground», à l’instar des fourmis d’où ils tirent le nom de leur groupe.
Fascinés par les voitures, la culture pop, ils réaliseront vidéos, performances, installations, déployant une activité conceptuelle jusqu’en 1978, où l’incendie de leur atelier marque la fin du groupe.
En 1969, ils envoient à la Biennale IV de Paris Electronic Oasis, une «capsule de temps», boîte de carton contenant des souvenirs de la station Apollo. Leurs gonflables se donnent alors comme une critique du Brutalisme en vigueur dans l’architecture américaine. En 1971, avec Media Van, une camionnette Chevrolet customisée, ils font le tour des universités, déployant leur gonflable ICE-9 dans une démarche proche des happenings.
En 1972, ils construisent au Texas, House of Century, maison aux formes organiques. Leurs projets sont une mise en abyme de la culture américaine contemporaine, de ses obsessions consuméristes, ainsi Freedomland, parc d’attractions pour adolescents, sous un dôme gonflable, traversé de câbles de studio de télévision.
Dans The Dolphin Embassy, ils imaginent une station maritime en Australie, destinée à favoriser la communication entre dauphins et humains à l’aide des nouvelles technologies de la vidéo.
En 1974, Ant Farm réalise une des œuvres les plus célèbres de l’histoire de l’art du XXe siècle avec Cadillac Ranch, près de la mythique Route 66 à Amarillo dans le Texas, à la demande de Stanley Marsh 3. Bruce Springsteen mettra ensuite en chanson Cadillac Ranch dont l’image sera pillée par la publicité. Les membres d’Ant Farm enterrèrent partiellement l’avant de 10 Cadillac alignées dans le désert.
Proche des Å“uvres du Land Art tels que celles de Michael Heizer ou de Robert Smithson, cette installation d’Ant Farm s’en différencie cependant par sa mise en scène subversive de la dimension iconique de la voiture dans la sous culture américaine, tout en renvoyant à une société industrielle dont le déclin s’est amorcé, comme en témoigne l’obsolescence de Detroit, ville par excellence de la production automobile. La dimension monumentale de cette installation – qui fut comparée à Stonehenge ! – pousse à son paroxysme le culte de l’objet.
En 1975, Media Burn, à la fois vidéo et performance, est la collision littérale des deux icônes de la culture américaine, la voiture et la télévision. Une voiture customisée percute une pyramide de téléviseurs en feu devant un parterre de 400 spectateurs figurants. Cette performance obéissait à un scénario très précis, qui témoigne de la dimension théâtrale et narrative des installations d’Ant Farm et fut immédiatement relayée par la télévision locale. Cette œuvre, mettant en scène la destruction de l’outil médiatique par excellence, retournait les médias contre eux-mêmes, les prenant à leur propre jeu.
La même année, The Eternal Frame, vidéo rejouant l’assassinat de Kennedy, première tragédie télévisuelle, avec une Jackie Kennedy interprétée par Doug Michels déguisé, se donnait comme une critique virulente de l’événement, réduit à n’être plus que son propre fantôme médiatique, répétition à l’infini d’une image. Le temps y était annihilé, suspendu, comme dans leur autre «capsule de temps», réfrigérateur enfermant des objets à n’ouvrir que plusieurs décennies plus tard.
L’université de Berkeley organisa en 2004 une première rétrospective de l’œuvre d’Ant Farm dont les archives se partagent entre trois collections : University of California, Berkeley Art Museum, le MOMA à New York et le Frac Centre qui organise ici la première exposition d’Ant Farm en France.