Anselm Reyle peint, mais toute sa peinture met en jeu la lumière : non pas tant la luminosité plus ou moins diffuse que génère toute couleur, tout pigment déposé sur une toile, mais plutôt la lumière électrique, blafarde et acide, des lampes et des néons de nos sociétés modernes.
Ainsi, Trust, première exposition personnelle de l’artiste en France, saisit le spectateur notamment par la présence lumineuse et radicale de ses peintures et objets détournés : dès l’entrée, l’artiste fait dialoguer ses sculptures et ses œuvres picturales, en posant au centre de la pièce une presse viticole orange phosphorescente, à laquelle répond frontalement, en arrière plan, un triptyque aux couleurs éclatantes, fait d’éclaboussures et de coulures vert pomme, rouge, mauve ou noir…, d’impressions et de compositions éclatées, sur fonds blanc ou jaune citron.
Parallèlement, comme pour absorber un éventuel trop plein d’acidité, Reyle propose également dans le même espace, sur la droite, une toile noire (on devine sous la surface une couche jaune fluorescente) ainsi qu’une lampe diffusant de la lumière, noire elle aussi.
Les objets trouvés d’Anselm Reyle, sortes de ready-made réinvestis, fonctionnent alors comme des indices pour appréhender le travail pictural : si la presse évoque directement, à l’instar de nombreux objets collectés par l’artiste, un mouvement rotatif, un mécanisme circulaire et cyclique, que l’on peut transposer au geste artistique, l’usage de lampes et d’éclairages spécifiques incite à extraire la peinture de ses sentiers battus, pour atteindre cette force à la fois crue et urbaine, presque violente, qui caractérise l’œuvre dans son ensemble.
Un tel postulat se voit d’ailleurs confirmé dans la seconde pièce de la galerie, le jeune artiste radicalisant en effet les mécanismes en question : sur la gauche tout d’abord, une lampe, cette fois encore récupérée, renvoie au spectateur les signaux éblouissants de sa lumière stroboscopique, et plonge toute la pièce dans une blancheur tout aussi aveuglante que tranchante. Au centre, une douzaine de lattes de bois, alternées de néons roses, construit un tableau tenant à la fois du décor mural et de la composition picturale. Enfin, à droite, une forme oblique et enroulée, en papier aluminium froissé, se détache d’une toile noire, constituant un motif de peinture « sans peinture », mais transposé et cristallisé par la feuille métallique.
Sobrement, mais avec une efficacité redoutable, Anselm Reyle évacue de fait la matière picturale dans sa quasi totalité, tout en réactivant ses perspectives et ses modalités d’usage, par jeux de lumières (électriques), de textures, de couleurs et de rythmes (le bois, l’aluminium).
Dès lors, c’est en termes de restauration et de renouvellement des genres qu’il s’agit de penser l’œuvre globale de Anselm Reyle : comme le sous-entend symboliquement la presse inaugurant l’exposition, signe d’un passé agricole révolu mais réanimé par la phosphorescence de la peinture, et comme le fait l’artiste en se réappropriant des séries d’objets trouvés ou en réinventant ses tableaux composés, la peinture contemporaine tente ici, littéralement, de retrouver une confiance (Trust), un souffle véritable, décapant les attentes et réveillant les regards.
— Kelter, 2002. Peinture sur bois et métal, 180 x 80 x 80 cm.
— Lampe, 2002. Objet trouvé, lumière stroboscopique, 80 x 65 cm.
— Lampe, 2001. Objet trouvé, lumière noire, 25 cm de diamètre.
— Sans titre, 2002. Technique mixte sur toile, 135 x 114 x 3 cm.
— Sans titre, 2002. Technique mixte sur toile, 67 x 56 cm.
— Spinnrad, 2002. Objet trouvé, peinture, 40 x 40 x 80 cm.
— Trust, 2000. Panneaux de bois, néons, 237 x 400 x 11 cm.