Pièce pour dix interprètes — huit danseurs (cinq femmes, trois hommes) et deux musiciens —, Achterland (1990) laisse la part belle à la musique. Comme souvent dans les créations de la chorégraphe belge Anne Teresa de Keersmaeker (Cie Rosas), la composition sonore sert de structure, de colonne vertébrale au mouvement. De la musique minimaliste et répétitive de Steve Reich aux Suites pour violon de Johann Sebastian Bach, la danse d’Anne Teresa De Keersmaeker existe dans la vibration sonore. Pour Achterland, ce sont les Sonates 2, 3 & 4 pour violon solo d’Eugène Ysaÿe, ainsi que les 8 Études pour piano solo de György Ligeti qui font trame. Pour une chorégraphie énergique, pointue, ponctuée et sans repos. Un jeu de genres, entre les genres, où le masculin et le féminin s’emmêlent.
Achterland d’Anne Teresa De Keersmaeker : une chorégraphie pointue, sans répit
Il y a presque du film muet dans l’euphorie chorégraphique d’Achterland. Interprétées par les violonistes Juan MarÃa Braceras / Naaman Sluchin (en alternance) et le pianiste Wilhem Latchoumia, les notes courent. Les danseurs aussi. Entre élans et décélérations, la vitesse est au cÅ“ur d’Achterland. Une vitesse qui s’enroule et déroule de manière presque narrative, ou théâtrale. Comparée à des pièces comme Fase (1982) ou Mitten wir im Leben sind/Bach6Cellosuiten (2017). Peut-être par le rapport à la spatialisation. Dans Achterland, le travail de la simultanéité est en effet très marqué. Les danseurs sont distribués dans l’espace selon une relation frontale aux spectateurs (en étant souvent tournés vers eux). Un dispositif (ou une disposition) qui accentue la dimension narrative. Présentée comme pièce charnière, Achterland est aussi la première pièce pour laquelle Anne Teresa De Keersmaeker aura réservé une place chorégraphique significative au masculin. Avec trois danseurs hommes.
Féminin / masculin : quand les codes et conventions s’emmêlent, s’échangent
En chemise et pieds nus… En tailleur et talons aiguilles… Les danseuses sautent et virevoltent avec un sourire éclatant. Jeunes filles ou working girls parfaites, le tableau se délite pourtant. Les frontières se brouillent, les hommes s’en mêlent, les codes s’emmêlent. Dans l’espace scénique policé, Achterland égraine notes et conventions de bonne conduite homme-femme. Signifiant ‘arrière-pays’ en néerlandais, achterland cultive la résurgence. Tandis qu’aux jeunes filles est inculquée, à partir d’un certain âge, la manière de se tenir tranquille sur une chaise, jupe droite et jambes croisées, les danseuses d’Achterland débordent. Pour autant elles n’ont rien ni de garçon, ni de manqué, quand elles se roulent par terre, bondissent ou rampent. Question de genres, bon ou mauvais, le masculin et le féminin se cherchent, s’éprouvent, se défient. Pour une danse de chemises, pantalons et chaussures (escarpins ou souliers vernis), qui interroge aussi, aujourd’hui encore, les codes sociaux.
Itinéraire du spectacle (non exhaustif) :
– Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, le 20 décembre 2018.
– Festival d’Automne à Paris 2018, Maison des Arts de Créteil, du 16 au 18 octobre 2018.