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Anne Durez

PStéphanie Katz
@12 Jan 2008

La vidéaste Anne Durez met en place un regard mutant qui hésite entre la caméra de surveillance et le point de vue bienveillant d’un Dieu absent, capable de tout voir et de tout entendre.

L ‘exposition de printemps de la galerie Zürcher permet de prendre la juste mesure du travail patient et courageux d’un galeriste. Le soutien de l’œuvre vidéo d’Anne Durez, qui s’affirme depuis peu sur la scène artistique, relève en effet d’un véritable pari.

Les propositions vidéographiques d’Anne Durez semblent toujours émaner d’un point de vue désincarné. Tant devant cette piscine de sang dans laquelle le sadisme des jeux enfantins se déploie sans scrupule, que devant l’épreuve de pénétration brutale d’un brise-glace dans la banquise, l’œil de la caméra apparaît comme insensible, fixe, et surtout sans interférence sur ce qu’il capte.

Le cadrage se veut sans état d’âme, comme pré-calculé, de façon à demeurer hermétique à l’émergence imprévisible des événements. Un tel dispositif tend à produire un matériel visuel paradoxal, à la fois anonyme et attaché à un point de vue précis, comme en témoigne l’usage des effets lumineux sur la piscine.
À l’instar de certains usages contemporains de l’image, Anne Durez met en place un regard mutant qui hésite entre la caméra de surveillance et le point de vue bienveillant d’un Dieu absent, capable de tout voir et de tout entendre.

Véritable œil du temps et des postures extrêmes, le regard inventé par l’artiste décale l’émotion du spectateur au profit d’un œil-machine, qui n’est pas sans évoquer celui préconisé par le cinéma d’Andy Warhol. C’est un visible inédit qui se révèle ici, loin des codes induits implicitement par l’œil anthropomorphique, qui cherche à voir autrement le monde, ou à voir un monde autre.

Dans cette émergence d’un véritable point de vue de l’absence, c’est une autre «morale» du regard qui s’impose, morale désireuse d’abandonner toute antériorité, tout préalable, toute prédisposition. Comme si observer le monde depuis cette place improbable, désincarnée, synthétique et sans préjugé, pouvait peut-être ressusciter le «commerce des regards» qui s’est évaporé de la communauté.

Anne Durez
— Bloody, 2005. Vidéo. 2 mn 39.
— Lance, 2005. Installation vidéo. 29 mn 15.

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