« Je fais pousser des fleurs qui ne poussent nulle part ailleurs » confiait Anna Zemà nkovà alors qu’amputée des jambes, elle était condamnée à la contemplation et à la création immobile de ses floraisons mentales.
De la faiblesse, la force
Née en 1908 en Moravie (aujourd’hui République tchèque), Anna Zemà nkovà connaît deux guerres mondiales, puis la maladie : en 1950, on doit l’amputer de ses jambes. Alitée, minée par la dépression, elle suit à sa fenêtre la naissance de chaque jour nouveau, le moment où les pâles couleurs de l’aube éclaircissent le tissu de la nuit. Quelques années plus tard, ces moments seront sa « transe », le moment de création où elle sent des courants magnétiques, qui inspirent ses figures florales, courbes, exubérantes, remplies de sucs et de graines.
Comme Frida Kahlo, c’est de son immobilité forcée et de sa maladie que l’artiste tire sa plus grande vitalité, une autre manière de voir le monde et de le représenter. Sa végétation, sans racines, hors-sol, est tirée d’elle-même, univers créé parallèle au réel.
Hortus Deliciarum
Comment tant de vie, tant de couleur, peut naître de la rumination de si sombres évènements ? C’est le mystère de l’art, de la sublimation du réel, qu’Anna Zemà nkovà fait éclore dans ses mystérieux végétaux au stylo bille et pastel. On s’y promène entre des tiges élancées comme des flammes, pourvues de graines qui sont peut-être aussi des tentacules, on y trouve la douceur des feuilles en volutes, aux couleurs tendres, et des motifs aquatiques, aussi finement tissés que les ridules sur la surface de l’eau, où flottent de délicats nénuphars.
Il y a là une nouvelle biologie à inventer : celle qui fait naître d’une psyché torturée, remuée par le soc de la guerre et de la maladie, des fleurs épanouies, sans racines, étranges et pourtant possibles.